Pourquoi Dunkerque a choisi les bus gratuits

Le projet d’accès à la gratuité du réseau dunkerquois impressionne par son ampleur : 17 lignes de bus irriguent toute la métropole et ses 200.000 habitants. À Dunkerque, plus besoin de payer pour monter dans le bus depuis le 1er septembre. Avec ses 200.000 habitants, la Communauté urbaine est la plus grande métropole d’Europe à choisir la gratuité pour ses transports.

« Il est temps de dépoussiérer les concepts et les pratiques : en proposant la gratuité d’accès aux transports, nous n’en devenons pas pour autant des élus mauvais gestionnaires, inconscients, insouciants », a prévenu Patrice Vergriete, maire de Dunkerque et président de la Communauté urbaine, visiblement échaudé par les remarques de ses opposants.

« J’en ai entendu des florilèges de préjugés, de dogmes et de contre-vérités », a-t-il poursuivi lors des premières rencontres des villes du transport gratuit, organisées les 3 et 4 septembre à Dunkerque pour justement « élever le débat ». La grand messe dunkerquoise a rassemblé des élus de villes françaises et européennes ayant eux aussi opté pour le transport gratuit, des chercheurs spécialisés sur la question, des techniciens mais aussi d’autres élus, curieux d’avoir des retours d’expériences.

Un projet d’ampleur

Car le projet d’accès à la gratuité du réseau dunkerquois impressionne par son ampleur et sa qualité : 17 lignes de bus irriguant toute la métropole et ses 200.000 habitants ; cinq lignes desservies toutes les dix minutes mettant 80% de la population à moins de 300 mètres d’un arrêt et à moins de 20 minutes de la gare de Dunkerque ; une plage horaire élargie de 5h30 à 22h30 ; des bus équipés de prises pour recharger les téléphones portables et du WIFI…

Maxime Huré, chercheur spécialiste de la gratuité dans les transports et président de l’association VIGS, a recensé 31 réseaux de transport gratuit en France : Dunkerque est la première grosse agglomération de cette taille à avoir franchi le pas.

Pourquoi la collectivité s’est-elle lancée dans cet ambitieux projet ? D’abord parce que ses transports en commun étaient largement sous-utilisés. À Dunkerque, en 2015, deux tiers des déplacements à l’échelle de l’agglomération s’effectuaient en voiture : avant la mise en place de la gratuité, le transport en bus ne représentait que 5% et le vélo 1%. La part de la voiture a même continué de progresser de 4% entre 2003 et 2015.

« La notion de gratuit crée un choc psychologique et frappe les esprits », concède le maire.

Des recettes qui se chiffrent à 4,5 millions d’euros

Ensuite, parce que les recettes commerciales n’étaient pas très élevées : les 4 millions et demi d’euros de recettes issues de la billettique ne pesaient que 10% des recettes globales de fonctionnement du réseau. Du coup, la suppression de la billetterie et des contrôles peut plus facilement compenser le manque à gagner sur les ventes.

Les données sont bien sûr différentes d’une ville à l’autre. À Aubagne, la billettique représentait 700.000 euros sur un coût de fonctionnement de 9 millions d’euros : le nombre de voyages annuels est passé de 1,9 million à 6 millions entre 2009 et 2017. Tandis qu’à Niort, passée à la gratuité en septembre 2017, les paiements ne couvraient que 12% des dépenses.

(À Dunkerque, avant la mise en place de la gratuité, le transport en bus ne représentait que 5% et le vélo 1%. Crédits : DR)


Un choix politique

Dunkerque s’est aussi lancée dans la gratuité parce que la collectivité a renoncé à construire une salle de sports et de spectacles de 10.000 places, un projet de 180 millions d’euros que la nouvelle équipe en place jugeait totalement inutile.

« C’est un choix politique que nous avons fait et que nous assumons pleinement », assène Patrice Vergriete.

Le nouveau réseau de bus a nécessité un investissement de 65 millions d’euros HT pour les travaux et les études mais hors matériel, cofinancé par l’État, l’Europe, la Région et le Département. Pour ce qui est du fonctionnement, la taxe versement transport avait été augmentée il y a quelques années de 0,5% (initialement pour la fameuse Arena), ce qui a apporté 8,9 millions d’euros supplémentaires. Ces 8,9 millions d’euros financent aujourd’hui le surcoût d’exploitation, puisque le réseau propose 36% de kilomètres supplémentaires : le budget transport est passé de 35 millions à 44 millions d’euros par an. Dix millions sont pris sur le budget principal de la CUD, le reste étant financé par le versement transport.

Une refonte du service

Le réseau de bus du Dunkerquois avait de toute façon besoin d’une refonte.

« Il faut imaginer que presque rien n’avait été refait depuis 1989 et que le but était de mieux desservir la métropole afin de mieux anticiper les besoins », souligne Xavier Daraine, chef de projet DK Bus à la Communauté urbaine de Dunkerque.

En termes d’aménagement du territoire, la priorité a ainsi été donnée au développement du réseau, qui sera l’épine dorsale des urbanisations futures, dans le cadre d’un PLUI habitat et déplacement. La hausse de fréquentation entraînée par la gratuité n’aurait de toute façon pas été supportée par l’ancien réseau.

Le contexte local était donc particulièrement favorable à la mise en place de la gratuité.

« L’industrie emploie moins de personnes, ce qui induit une montée du chômage et de la précarité ; la faible culture entrepreneuriale pénalise la création d’entreprises et donc le dynamisme local ; le déséquilibre entre les modes de transport a des conséquences négatives sur le plan social et environnemental », a ajouté le maire dans son introduction.

Différentes plus-values

D’autres plus-values viennent conforter le choix de la gratuité. « La tarification sociale démarrait à 7,50 euros par mois pouvait semblait négligeable mais pour certaines familles, ce coût ne l’était pas », admet Xavier Daraine, chef de projet DK Bus.

Pour le maire, c’est « quatre millions et demi d’euros qui sont rendus aux Dunkerquois », ajoutant que la mise en place de la gratuité n’entraînerait pas d’augmentation des impôts locaux, ni pour les ménages, ni pour les entreprises.

La plus-value s’annonce également sociale : l’accès aux bus gratuits permettrait aussi de faire sauter un facteur d’exclusion. Le maire ne se prive pas de raconter qu’une dame était venue le rencontrer lors de ses permanences pour le remercier car, avec le bus gratuit, elle avait désormais les moyens de rendre visite à sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer à l’hôpital.

Parmi les autres arguments que le premier édile avance, la baisse de 60% des incivilités le week-end dans des bus plus fréquentés, les contrôleurs ayant été réaffectés à des missions de prévention et de sécurisation. Sans oublier la plus-value environnementale, puisque le bus gratuit vise à rééquilibrer les modes de transport dans une collectivité déjà polluée par la présence d’industries lourdes.

Le week-end, la fréquentation a augmenté de 50%

Le retour d’expérience de Châteauroux, dont les bus sont en accès libre depuis 2001, est très parlant : la gratuité totalise 900.000 euros de déficit par an mais la fréquentation a triplé entre 2001 et 2017, atteignant 5 millions de voyageurs par an. Gil Avérous, le maire, d’ajouter : « Ce que l’on ne chiffre pas, ce sont les nouvelles recettes ou les coûts évités par cette politique », citant notamment l’installation prochaine d’une maroquinerie de luxe dans son centre-ville, bien heureuse de capter une main d’œuvre féminine ne possédant pas forcément le permis de conduire.

En tout cas, à Dunkerque, le résultat est déjà au rendez-vous : l’expérience de gratuité le week-end lancée depuis 2015 montre que la fréquentation du bus a augmenté de 50%, sans la moindre amélioration du service. Le raisonnement de l’élu est simple : plus la fréquentation augmente, plus le coût par voyageur diminue. « Mieux vaut des bus coûtant un peu plus chers mais remplis que des bus à moitié vides ». L’objectif de 10% de voyages en bus est bien parti pour être atteint et même dépassé d’ici l’année prochaine.

La Tribune.fr
Gaëtane Deljurie | 08/09/2018

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