Loin d’être dramatique pour l’économie suisse et pour l’emploi, la mise en échec du projet RFFA serait l’occasion d’un virage vers la justice fiscale. Le 12 septembre, le Conseil national a approuvé les grandes lignes de la révision fiscale concoctée par le Conseil des Etats – la RFFA.
L’essai parlementaire devrait être transformé lors du vote final en plénum, le 28 septembre. Les jours précédents le débat, les partisans du projet avaient fait monter la pression.
Sombres pronostics
Vendredi 7 septembre au soir, la Conférence des directeurs cantonaux des Finances envoyait une lettre à l’ensemble des conseillers nationaux. Le message délivré par son président, Charles Julliard: «Le temps court contre la place économique de la Suisse » (NZZ am Sonntag, 9 septembre 2018). La révision fiscale serait urgente afin d’éviter un exode d’entreprises et les licenciements qui en découleraient. Economiesuisse multipliait les interventions dans le même sens: en cas d’échec du projet, la Suisse serait mise sur une liste noire par l’OCDE et « verrait sa compétitivité s’affaiblir considérablement », menaçait la faîtière patronale. Sa directrice, Monika Rühl, brandissait même le spectre d’une «concurrence fiscale incontrôlée entre les cantons» en cas de refus (Blick, 12 septembre 2018.). Un sombre pronostic repris par Daniel Lampart, premier secrétaire de l’Union syndicale suisse (Services publics, n°14, 7 septembre 2018).
Compétitivité établie
Un Non à RFFA porterait-il un coup dur, voire fatal, à l’économie suisse et à l’emploi? Largement reprise dans les médias, la thèse est cependant loin de faire l’unanimité.
Sergio Rossi, professeur de macroéconomie et d’économie monétaire à l’Université de Fribourg, voit les choses d’un autre œil: «Sur le plan international, la compétitivité fiscale de la Suisse est déjà très bien établie et n’a pas besoin d’être renforcée. En ce qui concerne la garantie des emplois, la RFFA ne l’assure aucunement, aussi parce que le financement supplémentaire de l’AVS réduira le pouvoir d’achat des salariés, qui de ce fait pourront moins consommer. Bien des entreprises vont licencier des travailleurs.»
Y a-t-il un plan B en cas de refus de RFFA? M. Rossi esquisse la solution suivante: l’abolition des régimes fiscaux cantonaux, contraires aux règles internationales, doit être maintenue. Mais, en lieu et place de créer de nouvelles niches fiscales, l’économiste propose d’augmenter la charge fiscale sur les gros patrimoines placés sur les marchés financiers, «étant donné le caractère nuisible de ces placements pour la stabilité financière et le développement du système économique.»
Dominik Gross, spécialiste des questions fiscales chez Alliance Sud, conteste aussi le lien entre projet fiscal et destruction d’emplois – qui relève, selon lui, d’une compréhension erronée de la question. «Ce ne sont pas les usines et bureaux créant de la valeur ajoutée qui partiront mais seulement les unités mobiles des groupes multinationaux, qui gèrent du capital avec un très petit nombre de collaborateurs, avec en vue le transfert des bénéfices et l’évasion fiscale.» Pour M. Gross, il est donc tout à fait possible – et même indispensable – de supprimer les statuts fiscaux spéciaux, qui soustraient des milliards de recettes à des pays pauvres. Mais sans mesures de compensation.
Quel plan B?
Un avis partagé par Sébastien Guex. Pour cet historien, spécialiste des finances publiques, le «plan B» à RFFA est simple: «Les multinationales peuvent se permettre de payer l’impôt sur le bénéfice normal en Suisse, qui est parmi les plus bas du monde». Loin de quitter la Suisse, ces sociétés déménageraient tout au plus d’un canton à l’autre – et les pertes éventuelles seraient compensées par le jeu de la péréquation financière. «Même les experts de la Confédération le reconnaissent: il n’y aurait quasiment pas de pertes fiscales en cas de suppression sèche des statuts fiscaux», insiste le professeur. Pour les entreprises, l’exercice serait facilité par les mesures transitoires garanties par la Confédération, qui leur garantissent entre cinq et sept années pour s’adapter à la nouvelle donne.
Un signal pour le monde
Pour ces critiques de RFFA, loin d’être dramatique pour l’économie suisse, la mise en échec du projet fiscal sonnerait comme une opportunité. «Si la Suisse, principal paradis fiscal au monde, prenait des mesures contre le dumping fiscal, cela donnerait un signal important. Dans le monde entier, y compris aux Etats-Unis, les syndicats et mouvements sociaux se verraient grandement renforcés dans leur lutte contre l’évasion fiscale», explique Sébastien Guex.
Ce n’est pas Ellen Ehmke, de l’ONG Oxfam Allemagne, qui va le contredire: «Au lieu de jouer un rôle de précurseur lorsqu’il s’agit de couper l’herbe sous les pieds des autres, la Suisse devrait donner l’exemple en aidant les pays du Sud à mobiliser les ressources nécessaires dont ils ont besoin afin de construire leur service public; voilà qui serait vraiment une contribution au développement durable» (conférence de presse organisée par Alliance Sud, 11 septembre 2018).
Services Publics, 21.09.2018
0 commentaire à “«Il existe un plan B»”