Menace sur le service public

Une large coalition d’organisations politiques, syndicales et associatives a lancé cette fin de semaine un référendum contre la Loi relative à la réforme fiscale et au financement de l’AVS (RFFA).

Les référendaires se fixent comme objectif de récolter 50’000 signatures avant Noël. Photo Jorge Lemos

«Les chiffres de la Confédération et de certains cantons, qui estiment les pertes fiscales liées à l’introduction de la RFFA à 2.1 milliards de francs, sont clairement sous-évalués. Elles seront beaucoup plus importantes que prévu. Ce qui se passe en Suisse est vraiment irresponsable. Avec RFFA, entre les outils fiscaux dont disposeront les grandes entreprises pour réaliser des déductions sur leurs rendements et la baisse des différents taux d’imposition cantonaux, la Suisse deviendra la championne du monde de l’optimisation fiscale des personnes morales. Et le principal perdant sera le service public ».

Pour Urs Stauffer, intendant des impôts de la Ville de Bienne, le constat est sans appel. Le projet RFFA mettra à genoux le service public. Il s’exprimait samedi à Berne, aux côtés des autres membres de l’alliance Non à RFFA, à l’occasion du lancement d’un référendum contre un paquet qui mêle réforme de la fiscalité des entreprises et financement additionnel de l’AVS. A ses côtés se tenaient les représentants des Verts, des Jeunes Verts et des Jeunes socialistes, de solidaritéS et du Syndicat des services publics. De nombreuses autres forces de la gauche et du monde syndical et associatif se sont également prononcées contre ce projet de loi.

La Suisse, championne du monde de l’optimistation fiscale

Après le refus de la Réforme fédérale de l’imposition des entreprises (RIE 3) par près de 60% des votants, le 12 février 2017, le volet fiscal de RFFA poursuit le même objectif : supprimer les régimes fiscaux privilégiés dont bénéficient les grandes entreprises, qui enfreignent les normes internationales. Il prévoit en conséquence des outils fiscaux assez similaires, qui permettent aux multinationales d’opérer d’importantes réductions fiscales. Comme les déductions pour frais de recherche et développement. Ainsi, des baisses de 100% sont prévues pour les recherches faites en Suisse, et de 50% supplémentaires pour les frais liés à ces recherches.

L’outil de la « patent box » permettra quant à lui de déduire jusqu’à 90% des bénéfices générés par des inventions dont les patentes sont enregistrées à l’étranger. «Nous avons fait des tests, en construisant une entreprise fictive, explique Urs Stauffer. Avec les différents outils fiscaux additionnés, celle-ci pouvait déduire jusqu’à 70% de ses impôts, là ou auparavant elle était taxée à 100%. Des séminaires de «box» ont actuellement déjà lieu dans toutes les grandes entreprises de Suisse, afin d’aborder les moyens de payer moins d’impôts. La dynamique va totalement changer et les entreprises vont améliorer leurs systèmes d’optimisation fiscale».

Le manque de transparence du nouveau système représente un problème supplémentaire pour l’expert : «Jusqu’à présent, on savait exactement dans quelles entreprises étaient opérées les déductions fiscales et à combien elles se montaient. Avec RFFA, on bascule dans un système d’estimations. Les entreprises peuvent mieux cacher les rendements qu’elles déclarent dans leur comptabilité. Les experts en taxation n’ont aucune expérience de ces nouveaux outils, beaucoup plus complexes, et les cantons ne disposeront pas de moyens supplémentaires pour effectuer toutes ces vérifications. Enfin, lors des contrôles comptables, les décisions sont souvent prises en faveur de l’entreprise», assène Urs Stauffer.

Malgré les possibilités de déductions fiscales pour les grandes entreprises qui se verront supprimer leur forfait, la concurrence fiscale entre les cantons est extrêmement forte, et ceux-ci seront contraints d’adapter leur taux d’imposition à la baisse. La Confédération a bien prévu d’augmenter sa part de contribution aux cantons une fois que la réforme fédérale sera sous toit, afin de combler le manque à gagner. Celle-ci est issue de l’impôt fédéral direct (IFD) et passera de 17% à 21%, pour atteindre 1 milliard. Une somme jugée absolument insuffisante par les référendaires, au vu des pertes estimées.

Oui au renforcement de l’AVS, non au paquet

Les référendaires soutiennent toutefois le volet de RFFA qui prévoit un apport de 2 milliards de francs à l’AVS, mais considèrent que ce sujet ne devrait pas être traité conjointement aux questions fiscales. Denis de la Reussille, conseiller national du Parti du travail (PST) présent lors de la conférence de presse, précise : «Cette mesure sert en fait à faire avaler la pilule à la population suisse. Nous défendons le 1er pilier de retraites, qui est la forme de prévoyance vieillesse la plus sûre et la moins chère. Mais pas dans le cadre d’un tel paquet. Par ailleurs, l’acceptation de ce projet ne permet en aucun cas de garantir que l’âge de la retraite des femmes ne sera pas augmenté». En effet, le projet «Stabilisation de l’AVS», dit AVS 21, a été mis en consultation jusqu’au 17 octobre. Celui-ci prévoit d’augmenter l’âge de départ à la retraite des femmes à 65 ans, ainsi qu’une augmentation à la TVA.

Mais au-delà de la question des retraites, les référendaires considèrent également que les pertes fiscales engendrées par RFFA toucheront particulièrement les femmes. Cora Antonioli, co-présidente du Syndicat des services publics, fait part de son inquiétude: « Avec RFFA, les budgets publics des cantons et des communes seraient menacés et tous les services publics risquent d’être concernés par une dégradation. Les femmes sont en première ligne, car elles sont majoritaires dans beaucoup de secteurs d’attention à la personne, comme les soins ou l’enfance. Elles risquent de voir leurs conditions de travail se détériorer, alors que les salaires qu’elles touchent sont déjà très bas. Par ailleurs, les femmes réalisent encore 2/3 des tâches domestiques non rémunérées. Une diminution des prestations ou des places disponibles dans le service public impliquera obligatoirement un report sur les femmes, via une augmentation du travail invisible et gratuit réalisé dans la sphère privée». Le délai officiel pour rassembler les 50’000 paraphes court donc jusqu’au 17 janvier 2019, mais les référendaires se fixent comme objectif de les récolter avant Noël.

Gauchebdo, 11 octobre 2018 par Talissa Rodriguez

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