Alors qu’une grève se prépare le 13 novembre contre la dégradation de l’accueil, la colère est palpable.
La qualité de l’accueil de jour des enfants fait l’objet d’une intense bataille politique dans le canton de Vaud. Image d’illustration. Le Courrier / © Cédric Vincensini
Accueil de jour
A Lausanne mercredi, l’exposition «Découvrir le monde» était inaugurée au Musée de la main, abordant l’importance du cadre de vie de l’enfant pour son développement, que ce soit en famille ou en milieu d’accueil. Et à peine un mois plus tard, le 13 novembre, les rues de la ville accueilleront une manifestation de professionnels de la petite enfance de tout le canton, très remontés contre une dégradation des conditions d’accueil dans le parascolaire prévue dès 2019. Le rassemblement sera précédé d’actions et d’une grève du secteur. Un collectif formé des associations de professionnels, de parents, de syndicats et des partis de gauche demande une réouverture des négociations, avec effet suspensif.
«Un dénigrement du travail socio-éducatif»
Présentant l’exposition au musée de la main, Jean-Claude Seiler, chef du service d’accueil de l’enfance à Lausanne, souligne l’importance de la qualité de l’accueil de jour et de la formation. En aparté, il peine à cacher sa colère, face au nouveau cadre de référence, mis en place par l’Etablissement intercommunal pour l’accueil parascolaire (EIAP). «C’est un dénigrement total du travail socio-éducatif», s’emporte-t-il. Le chef de service dénonce la sous-qualification des employés et un «flou artistique» dans le régime d’exception. Pour lui, économiser en engageant du personnel non formé est un faux calcul : il y a davantage de turn-over, un besoin de soutien plus élevé dans les structures, l’institution s’en trouve fragilisée, estime-t-il. Jean-Claude Seiler soutiendra-t-il le personnel du parascolaire, s’il se met en grève ? Il assure que oui. A condition de parvenir à offrir des prestations aux enfants présents ce jour-là. Cheffe du secteur préscolaire, Claude Thüler s’inquiète des conditions de travail précaires pour des auxiliaires sans formation.
En septembre, l’EIAP présentait une version du cadre de référence légèrement modifiée, après une large consultation et une pétition, qui a réuni 17 000 signatures. «Dans cette nouvelle version, l’EIAP a fait fi des recommandations sur lesquels tous les partenaires étaient d’accord», dénonce Christine Guinard Dumas, secrétaire générale d’Avenir social. Selon elle, la diminution du personnel formé n’est pas compatible avec les missions éducative, sociale et préventive de la loi cantonale sur l’accueil de jour des enfants.
«Pratique déjà en vigueur»
A Lausanne, le municipal de l’enfance David Payot voit plusieurs risques dans l’application du cadre de référence. Outre la diminution du taux d’encadrement et de la qualification du personnel, il s’interroge sur les nombreuses exceptions possibles et du flou autour de projets pilotes, qui permettent de déroger aux conditions minimales posées par le cadre de référence. Le municipal popiste souligne l’importance du personnel formé pour le bon fonctionnement des structures lausannoises. «J’espère que les communes pourront le constater aussi et trouver un consensus avec les professionnels», relève-t-il. Soutiendra-t-il la grève? «A priori, cela fait partie du droit. Les professionnels ont la légitimité d’exprimer leurs préoccupations». De son côté, Yverdon se dit «mitigée» sur le nouveau cadre de référence. «Certaines communes veulent les solutions les moins chers et c’est dérangeant», note le municipal socialiste Jean-Claude Ruchet.
Président de l’EIAP et syndic de Chavornay, Christian Kunze relève n’avoir reçu aucune plainte de commune après la présentation de la nouvelle formule. Il dénonce un collectif fermé au dialogue, qui ne veut rien céder par rapport au cadre actuel. Concernant les dérogations facilitées, il juge que le nouveau cadre reprend une pratique déjà en vigueur de l’office cantonal de l’accueil de jour. Quant à la demande d’ouverture de négociations, l’EIAP donnera une réponse au collectif d’ici à la fin du mois.
Des taux de satisfaction divergents
Depuis l’entrée en vigueur de la loi sur l’accueil de jour, la responsabilité du cadre de référence est passée du canton à un organe des communes. L’Établissement intercommunal pour l’accueil parascolaire (EIAP) est composé de dix municipaux, des communes de Ormont-dessus, Payerne, Montanaire, Chavornay, Epalinges, Pully, Tolochenaz, Dully, Ecublens, Veytaux. Deux candidats par district ont été présentés et les associations de communes ont procédé au choix final. Les autres communes du canton ont été consultées et près d’un tiers ont répondu. Selon l’EIAP, 93% des répondants seraient favorables au nouveau cadre de référence, avec parfois des réserves concernant principalement le transport des enfants, à leur charge. Six y seraient opposées. Engagé contre les nouvelles normes, dénonçant une « zone grise », le parti socialiste vaudois a fait sa propre enquête. Ses résultats diffèrent de ceux de l’EIAP : sur environ un tiers de répondants, soixante-huit communes seraient «critiques ou plutôt critiques» et vingt-sept se sont dites «favorables» au nouveau cadre de référence. SDT
La bataille du «para»
Gustavo Kuhn
La colère monte chez les professionnels vaudois de la petite enfance. Après une pétition qui a recueilli 17’000 signatures, ce sont désormais des actions, des mobilisations et une grève qui sont en préparation. Les raisons de la fronde? Les nouvelles normes d’application de l’accueil parascolaire, qui doivent entrer en vigueur le 1er janvier 2019, prévoient d’augmenter le nombre d’enfants par adulte, tout en baissant celui de diplômé-e-s dans les équipes d’encadrement. Cela, agrémenté de nombreuses possibilités permettant de déroger au cadre minimal revu au rabais. Bref, une importante dégradation des conditions d’accueil, dénoncent professionnels, parents, syndicats et partis de gauche.
Alors que l’élaboration de la loi sur l’accueil de jour a donné lieu à huit ans de batailles, son application fait ainsi l’objet de nouveaux combats politiques. Il ne faut cependant pas baisser les bras. La lutte pour un parascolaire de qualité se doit d’être poursuivie. Comment, sinon, mettre en pratique les missions du «para» définies par la loi? Le texte précise que l’accueil de jour doit soutenir le «développement physique, affectif et social des enfants, dans un cadre favorisant un accueil de qualité et selon un projet pédagogique adaptés». Mais aussi encourager «l’égalité des chances et l’intégration» des enfants. Or cela n’est possible qu’avec un nombre suffisant de professionnels qualifiés.
A l’heure où les communes vaudoises se préparent à affronter les effets de la RIE III sur leurs finances, il n’est pas surprenant que certaines municipalités prétendent mettre en place le cadre le moins coûteux possible. Même si cela implique une dégradation de la qualité de l’accueil des enfants. Et, par ricochet, de l’accès au travail de nombreux parents. Car la possibilité de bénéficier d’un accueil de jour de qualité est essentielle à la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.
Cette bataille risque ainsi de n’être que la première d’une longue série. Le cadeau aux grandes entreprises que représente la réforme fiscale vaudoise aura en effet de lourdes conséquences sur les finances municipales. Et, partant, sur les politiques publiques en faveur de la population. Qu’il faudra encore défendre.
Le Courrier, 11 octobre 2018, Sophie Dupont
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