Le 25 novembre, nous voterons sur une modification de loi qui permettrait la surveillance secrète généralisée des assurés. Questions à Catherine Rouvenaz, secrétaire d’AGILE.CH et militante SSP.
Pourquoi cette modification de la Loi sur la partie générale des assurances sociales (LPGA)?
Catherine Rouvenaz – Durant des années, les offices AI et la Suva ont surveillé des assurés à leur insu, sans aucune base légale. À la suite d’un recours déposé par une assurée contre son assurance accident qui l’avait prise en filature, la Cour européenne des droits de l’homme a sommé la Suisse de se doter d’une base légale pour encadrer cette surveillance. Sous la pression des assureurs, le Parlement a modifié l’article 43 de la LPGA dans un temps record de 18 mois.
Pourquoi s’opposer à cette modification?
Loin « d’encadrer » la surveillance des assurés, cette nouvelle loi permettrait un espionnage quasi illimité. Sur la base d’« indices concrets », non définis par la loi, un assureur pourra faire surveiller secrètement les personnes qui reçoivent des prestations d’assurances sociales, depuis tous les lieux « accessibles au public ». Une personne pourra être photographiée dans sa chambre à coucher ou sur son balcon, s’ils sont visibles depuis la rue; ses conversations pourront être enregistrées depuis un lieu publiquement accessible. Tout cela sans l’autorisation d’un juge.
Cette surveillance secrète sera effectuée, la plupart du temps, par un détective privé. Ce dernier pourra aussi utiliser des drones ou poser des traceurs GPS sur des véhicules individuels – ceci avec l’autorisation d’un juge. Bref, big brother devient une réalité.
Qui est concerné?
Cette surveillance secrète sera possible pour la dizaine d’assurances régies par la LPGA – l’AVS, l’APG, l’assurance accident, l’assurance invalidité, mais aussi l’assurance maladie ou les prestations complémentaires. Tous les salariés qui cotisent à ces assurances et peuvent y avoir recours un jour sont concernés.
Quelles seraient les conséquences de cette loi?
Le droit constitutionnel à la sphère privée serait bafoué, de même que la protection contre l’arbitraire.
Le droit des assurés à toucher des prestations serait aussi remis en cause. La loi jette une suspicion généralisée sur les assurés, au moment où les assurances sociales sont systématiquement attaquées par la droite. Dans ce contexte, elle sera utilisée pour limiter massivement l’accès aux prestations sociales.
Il faut penser aussi aux personnes souffrant de handicaps invisibles, comme les maladies psychiques. Quelles seront les conclusions tirées par les détectives qui les observeront? Avec quelles conséquences ? On n’en sait rien et personne n’est à l’abri d’un rapport tendancieux. Pour ces personnes, la menace d’une telle surveillance serait une pression supplémentaire, qui risque d’empirer encore leur état de santé.
Les partisans de cette surveillance invoquent la lutte contre les « abus »…
Les « abus » en matière d’assurances sociales représentent une goutte d’eau dans l’océan des dépenses. À l’heure actuelle, à notre connaissance, ils ne sont répertoriés que par l’AI et la Suva. Les chiffres ne sont pas vraiment fiables, et les assurances disposent de suffisamment d’instruments pour effectuer des contrôles.
Si on voulait réaliser des économies, il serait beaucoup plus efficace de s’attaquer aux vraies causes des accidents, des maladies et des incapacités de travail. Et donc à la dégradation des conditions de travail, dont l’impact sur les dépenses sociales se chiffre en milliards chaque année !
Quel est l’objectif de cette surveillance sans limite?
Il faudrait poser la question aux assureurs, au vu de l’énergie qu’ils ont déployée pour faire passer la loi au Parlement, dans sa version la plus dure.
Ce qui est sûr, c’est que le but premier d’une assurance est devenu de verser le moins de prestations possibles et qu’un bon détective est celui qui permettra à son patron assureur d’économiser le plus d’argent possible. D’où l’énorme risque d’arbitraire. L’article de loi sur lequel nous voterons en novembre fait partie de la LPGA, dont la révision vient d’être adoptée par le parlement, avec son cortège de démantèlements: une assurance pourra exiger le remboursement de prestations soi-disant indues dans un délai de 3 ans, contre 1 an actuellement; la gratuité des procédures de recours concernant une décision AI auprès des tribunaux cantonaux sera supprimée. Autant dire qu’une personne qui se fait accuser à tort de fraude aura la plus grande peine à faire valoir ses droits.
On met sur pied un dispositif qui limiterait drastiquement le droit d’obtenir des prestations sociales – bien qu’on y cotise durant toute notre vie active. Nous devons refuser ce procédé scandaleux.
15 octobre 2018, «Services Publics»
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