La gauche et les partis bourgeois débattent âprement de la votation zurichoise sur la loi impliquant une possible privatisation de l’approvisionnement en eau. Interview de la députée Judith Stofer.
Le débat sur la privatisation partielle de la distribution d’eau potable est devenu très émotionnel dans le canton de Zurich. A environ deux semaines de la votation du 10 février sur la révision de la loi sur l’eau, cette question domine une campagne opposant férocement les partis de gauche et la majorité bourgeoise au parlement. Les premiers, qui avec les Vert’libéraux sont à l’origine du référendum, redoutent que l’entrée de privés dans le capital des sociétés de distribution des communes ait à terme des effets pervers. L’argument écologique d’un manque de protection pour les cours d’eau a aussi gagné une importance cruciale. Le point sur les craintes que suscite la révision de loi avec Judith Stofer, députée du parti de gauche radicale Liste alternative (AL) au parlement zurichois.
Le camp bourgeois l’a assuré maintes fois: la nouvelle loi pose des garde-fous. Pourquoi vous y opposer avec tant de véhémence?
Judith Stofer: Avant de passer en commission, le projet de loi du Conseil d’Etat interdisait toute privatisation, même partielle. La majorité bourgeoise a modifié le texte de fond en comble, réduisant la marge de manœuvre des communes et donnant des pouvoirs inconsidérés aux privés. Même si la privatisation de ces sociétés de distribution d’eau portable reste clairement limitée à 49% du capital, il s’agit d’une ouverture très dangereuse, selon le PS, les Verts et l’AL, qui possèdent ensemble à peine un tiers des sièges au parlement. Au vu de ce rapport de forces déséquilibré, il y a fort à parier que le camp bourgeois parviendra, à petits pas, à autoriser une privatisation totale. Cela s’est passé à plusieurs reprises à l’étranger, à Berlin par exemple.
Admettons. Qu’y aurait-il de si grave alors?
Je vous assure qu’il y a de quoi se méfier. Parfois, on a mis au jour des scandales de bénéfices dissimulés. Dans d’autres cas, le versement de dividendes aux actionnaires ou la logique de profit ont dépassé les bornes face à des pouvoirs publics devenus impuissants. A Berlin, au final, ce sont les ménages qui ont payé le prix fort.
Il n’est pas dit qu’il y aura des hausses de facturation dans le cas zurichois, si?
La gauche craint qu’à terme que de grosses entreprises entrent au capital des sociétés de distribution d’eau. Le camp bourgeois nous accuse de paranoïa, mais il n’a pas son mot à dire: il mène clairement un double jeu sur la question de la privatisation. Une firme comme Nestlé, qui possède déjà des parts dans ce secteur en Suisse, a prouvé à l’étranger qu’elle n’hésitait pas à taxer les consommateurs sur l’eau potable. Avec de nouveaux tarifs privés, les ménages vont encore casquer. Si l’on y ajoute la hausse des primes et des prix de l’électricité, l’ardoise globale grimpe en flèche, pour des services qui devraient être en réalité un devoir. En plus, l’eau est un bien vital. C’est pourquoi elle doit absolument rester en mains publiques.
Mais la révision de loi a aussi ses atouts. Faut-il vraiment tout faire flancher?
Le texte est important et règle de nombreux aspects techniques. Toutefois, on ne peut pas fermer les yeux sur la question de la privatisation. En plus, il y a d’autres points qui sont douteux. A commencer par le manque de protection pour les cours d’eau qu’induirait cette révision, au moins tout aussi inacceptable. En revoyant le projet du gouvernement, la majorité bourgeoise a fortement favorisé les propriétaires terriens et les paysans. Si ceux-ci veulent empêcher la renaturation de cours d’eau, ils obtiendront désormais gain de cause la plupart du temps.
C’est la porte ouverte au bétonnage. Pensez-vous que les référendaires ont des chances de gagner le 10 février?
Je suis convaincue que nous pouvons remporter la partie. La nervosité du camp bourgeois est palpable et sa communication est devenue mensongère. En plus de la gauche, qui s’est rapidement unie derrière ce référendum par crainte de voir la loi cantonale modifiée pas à pas jusqu’à une privatisation totale de la distribution d’eau, plusieurs petites formations bourgeoises se sont laissées convaincre par l’argument écologique. Ce qui pourrait bien faire pencher la balance quand les Zurichois se rendront aux urnes.
Le Courrier, 30 janvier 2019, Gilles d’Andrès
Photo : Le réservoir d’eau de la Ville de Zurich. DR
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