L’Asloca exige des garanties du Conseil fédéral et de l’UE. Elle craint que l’accord-cadre bloque les politiques sociales du logement au nom de la libre concurrence. Le très contesté accord-cadre que la Suisse entend passer avec l’Union européenne menace aussi potentiellement les politiques sociales du logement mises en œuvre aux niveaux fédéral et cantonal.
L’Asloca, le lobby des locataires, exige des garanties à la fois de la Suisse mais aussi de l’Union européenne pour que ce domaine soit durablement exclu du périmètre de cet accord également contesté par les milieux syndicaux. Ces derniers craignent de leur côté un dumping salarial généralisé et une mise en cause du système des conventions collectives de travail (CCT).
«Si la Suisse signait l’accord-cadre, cela ne signifierait pas forcément des problèmes au 1er janvier», résume Carlo Sommaruga, président de l’Asloca Suisse et conseiller national PS. «En revanche, sur le moyen terme, nous avons tout lieu de nous inquiéter». C’est l’IUT (International Union of Tenants), la faîtière mondiale des associations de locataires, invitée à la dernière assemblée de l’Asloca, qui a attiré l’attention de cette dernière sur cet aspect méconnu de l’accord-cadre.
Jurisprudence
C’est à un raisonnement en escalier qu’il faut se livrer pour comprendre les enjeux de la revendication. Le Traité de Lisbonne, qui règle la question de fonctionnement de l’Union européenne, proscrit les aides publiques. Sauf si elles visent à réduire la pauvreté. Elles doivent donc être soigneusement ciblées sur les revenus les plus modestes et ne pas entraver une concurrence qui doit être libre et non faussée.
«Les HLM deviendraient illégales» Carlo Sommaruga
Une récente jurisprudence de la Cour européenne de justice (CEJ), l’instance de droit qui servirait de recours en cas de conclusion d’un accord-cadre, vient précisément de bloquer un projet de logements aux Pays-Bas qui ciblait aussi les classes moyennes. Ceci à la suite d’un recours d’un gros investisseur qui y voyait une distorsion à la concurrence.
Coopératives menacées
«Potentiellement, au niveau fédéral, ce sont tous les projets de coopératives qui seraient menacés», explique M. Sommaruga, «et, au niveau cantonal, pour prendre un exemple genevois, seules les aides HBM (habitations bon marché) seraient acceptables. En revanche, les HLM (habitations à loyer modéré) et le HM (habitations mixtes), qui ciblent la classe moyenne, deviendraient illégales.» Or, relève-t-il, une politique sociale du logement durable doit précisément viser à garantir un accès au logement pour la majorité de la population. «Les classes moyennes sont aussi confrontées à un problème lancinant lorsqu’il s’agit de se loger.»
Et le conseiller national de noter que des contacts avec des associations de locataires dans le Bade-Wurtemberg laisse penser que les problèmes pourraient surgir plus rapidement que prévu. En effet, dans ce Land allemand, le poids de la jurisprudence de la CJE se fait déjà sentir. «Les responsables politiques ont d’ores et déjà intégré cette contrainte dans leurs politiques publiques.»
Exigences
D’où l’exigence de l’Asloca, qui n’est pas opposée par principe à l’accord-cadre, mais qui vient tout de même grossir les rangs des opposants à ce traité. Elle demande des garanties au Conseil fédéral pour que les politiques d’encouragement au logement social soient clairement exclues des champs d’application de l’accord institutionnel, «comme de tout accord ultérieur», précise un communiqué. En effet, l’accord-cadre prévoit un accord de libre-échange ultérieur, couvrant non seulement le commerce mais aussi les investissements. Ce qui inclut les projets immobiliers.
L’Asloca ne se contenterait pas d’une déclaration du Conseil fédéral, que l’on sait fluctuant car guère en position de force. Elle exige également un engagement clair de l’Union européenne que cette dernière ne mettra pas la pression sur la Suisse en la matière.
Le Courrier, 27 mars 2019, Philippe Bach
Photo : «Potentiellement, au niveau fédéral, ce sont tous les projets de coopératives (ici un immeuble de la Codha à Genève) qui seraient menacés», relève Carlo Sommaruga. JPDS
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