Les Suisses se prononceront le 19 mai sur la nouvelle Loi relative à la réforme fiscale et au financement de l’AVS (RFFA). Un remake de la RIE III. A rejeter.
Le même jour, les Genevois voteront sur le volet cantonal de la réforme, à savoir la fixation d’un taux unique d’imposition des personnes morales à 13.99%. En guise de compensation, une augmentation des subsides cantonaux d’assurance maladie de 186 millions est prévue, ainsi qu’une aide supplémentaire à la petite enfance de 18 millions.
Sous couvert de supprimer l’imposition à taux réduit dont bénéficiaient jusque-là les multinationales et de les taxer comme les entreprises suisses, le Conseil fédéral propose de baisser le taux d’imposition de ces dernières – dont la fixation relève de la compétence des cantons, afin d’éviter que les holdings ne quittent la Suisse.
En parallèle, plusieurs outils d’optimisation fiscale sont prévus, afin que les multinationales continuent de bénéficier d’exonérations fiscales massives.
Répondant à l’injonction de l’Union européenne et de l’OCDE, qui souhaitent que la Suisse mette un terme à la pratique fiscale prédatrice que constituent les statuts spéciaux, ce projet reprend les grandes lignes de la RIE III, première tentative en ce sens du Conseil fédéral sèchement rejetée par le peuple, le 17 juin 2017. D’abord élaboré sous le nom de code PF17 (projet fiscal 2017), ce paquet de mesures réchauffées a été couplé à une réforme de l’AVS par le parlement, qui a adopté la RFFA le 28 septembre dernier.
En effet, afin d’éviter une nouvelle défaite dans les urnes, le Conseil national a proposé un financement additionnel de l’AVS de deux milliards de francs. Face à ce «paquet», la gauche est divisée. Tandis que le Parti socialiste suisse (PSS) soutient le projet, aux côtés du Conseil fédéral, du PDC et du PLR, le camp du non regroupe la gauche de la gauche, les Jeunes socialistes, le PS genevois, le Syndicat des services publics (SSP) et les Verts. Quant à l’Union syndicale suisse, elle a opté pour la liberté de vote, principalement en raison de l’opposition entre Unia et le SSP.
«Du baratin»
Alors que le PSS justifie en partie son soutien au projet suite à l’introduction d’améliorations sur le plan fiscal par rapport à la RIE III, Agostino Soldini, secrétaire central au SSP, considère qu’il n’en est rien. «C’est du baratin. Sur le plan fiscal, la RFFA est la sœur jumelle de la RIE III. Elle en conserve deux éléments centraux: de nouvelles niches fiscales permettant aux entreprises de réduire massivement la part des bénéfices soumise à l’impôt; la diminution tout aussi massive du taux d’imposition des bénéfices. Même Donald Trump n’oserait rêver des taux annoncés un peu partout en Suisse! Quant aux quelques «améliorations», elles doivent être fortement relativisées. Ainsi, les dividendes continueront d’être largement défiscalisés, contrairement aux revenus des salariés, imposés jusqu’au dernier centime».
Par ailleurs, le syndicaliste met en garde contre la volonté du Conseil fédéral de présenter ce deuxième volet comme une compensation sociale. «C’est une tromperie. Les retraités, actuels et futurs, ne toucheront pas un franc de plus. Pourtant, des centaines de milliers d’entre eux doivent compter chaque sou pour arriver à la fin du mois. Et l’avenir ne s’annonce guère meilleur: les rentes du 2e pilier baissent partout massivement. Plutôt que d’offrir des milliards de francs de cadeaux fiscaux aux grands actionnaires, ce sont les rentes AVS qui devraient être augmentées».
Pour Agostino Soldini, la RFFA est donc avant tout une réforme fiscale qui profitera aux grands actionnaires, avec pour conséquence de mettre à sac le service public. «La RFFA se traduira par des coupes massives dans les services publics au détriment des structures d’accueil pour les enfants, de la qualité des soins dans les hôpitaux, de la prise en charge des personnes âgées, etc. C’est ce qui se passe déjà dans les cantons pionniers de cette politique de défiscalisation du capital. Ainsi, à Neuchâtel, le Conseil d’Etat veut fermer la Haute Ecole de Musique et doubler les frais d’écolage pour les élèves des écoles professionnelles à plein-temps. A Lucerne, le gouvernement cantonal a carrément fermé les écoles pendant une semaine supplémentaire pour réaliser des économies!»
Les femmes prétéritées
Selon Gabriella Lima, coordinatrice de la campagne pour solidaritéS, les femmes seront les premières victimes de ce démantèlement du service public, tout d’abord parce qu’elles en sont les principales bénéficiaires. «Afin de combler le manque de structures d’accueil, que ce soit des enfants ou des proches, les femmes renoncent plus facilement à une carrière professionnelle à temps plein pour prendre en charge le travail éducatif et de soins, qui n’est ni rémunéré, ni reconnu, ni valorisé. C’est donc du temps partiel en plus, de l’argent et des retraites en moins. Avec ce genre de réforme, on néglige les besoins en matière de structures qui permettraient de concrétiser l’égalité dans les faits. Tout cela alors que nous sommes en train de préparer une grève féministe le 14 juin!».
Dans ce contexte, la position des femmes socialiste apparaît comme un non-sens pour Gabriella Lima. «Elles ont demandé des places de crèche gratuites pour la grève du 14 juin, alors que le PSS soutient la RFFA. Mais l’égalité, ça se finance! Ce n’est pas en asséchant les caisses publiques qu’on va pouvoir développer et renforcer des services publics pour permettre aux femmes de se dégager de ce travail domestique et de le collectiviser».
Les femmes sont également très présentes dans les métiers éducatifs et de soins à la personne, principalement assurés par des institutions de service public. Or, comme le souligne Gabriella Lima, la diminution des moyens financiers se répercute inévitablement sur les conditions de travail, et donc de prise en charge. «On l’a vu avec la grève du personnel vaudois de l’accueil parascolaire le 13 novembre dernier, lors de laquelle plus de 8’000 personnes ont manifesté (Le canton de Vaud a abaissé son taux d’imposition du bénéfice des entreprises à 13.79% au début de l’année 2019, ce qui a placé les finances de nombres communes sous pression, ndlr).
Afin de faire des économies, les communes ont adopté un nouveau cadre de référence qui prévoit davantage d’enfants par éducateur ainsi que plus de personnel non qualifié. Or, près de 90% du personnel de l’accueil de l’enfance est féminin. Les femmes sont donc les premières concernées par cette dégradation des conditions de travail et d’accueil et cette dévalorisation de leurs compétences et de leur métier, dans un secteur qui connaît déjà des salaires très bas».
Enfin, contrairement à ce qu’affirment les partisans de la RFFA, l’adoption de la réforme ne met pas les femmes à l’abri d’une augmentation de leur âge de départ à la retraite. «Le nouveau projet de réforme de l’AVS adopté par le Conseil Fédéral – AVS 21 – prévoit explicitement l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes ainsi que des incitations pour travailler au-delà de 65 ans pour tout le monde, explique Gabriella Lima.
Et pour faire passer la RFFA, le Conseil fédéral a décidé d’attendre le vote pour déposer son projet trois mois après… C’est vraiment une méthode malhonnête et un deal de dupes de Berset et du PSS pour nous faire accepter des cadeaux fiscaux aux grandes entreprises et à leurs actionnaires».
Menaces sur les finances des villes
Enfin, les communes des cantons qui appliquent la réforme fiscale de manière anticipée, comme dans le cas vaudois, rencontrent déjà d’importantes difficultés. Raison de plus pour s’opposer à RFFA selon Karine Clerc, Municipale popiste à Renens. «Les exigences européennes concernant l’abolition des statuts spéciaux ne sont pas remises en cause. Ce qui pose problème, c’est la mise en œuvre. C’est un immense transfert de charges de l’économie vers les collectivités et les individus, qui va entraîner une diminution des prestations sociales ou une augmentation de l’impôt des personnes physiques. Les collectivités perdront énormément d’argent. Certaines communes – on l’a vu avec Nyon et Rolle notamment – vont devoir augmenter leur taux d’imposition des personnes physiques, car il ne leur permet plus de faire face aux charges courantes. Ces communes remettent également en cause la facture sociale, qu’elles trouvent maintenant trop chère, et on peut craindre pour la solidarité intercommunale assurée via la péréquation. Chacun trouve que les pauvres sont mieux sur la commune d’à côté. C’est le coût des compensations sociales négociées avec la RIE3 cantonale, qui sont par ailleurs déjà remises en cause dans le cadre des débats au Grand Conseil».
Afin de compenser l’entrée en vigueur anticipée de la réforme fiscale vaudoise, diverses négociations ont eu lieu entre les communes et le canton, afin de transférer une partie des charges sur celui-ci. Ainsi, suite à l’adoption de la motion déposée par le député Mischler, le Canton de Vaud versera 50 millions aux communes en 2019 – proportionnellement au rendement 2015-2017 des sociétés – et reprendra la totalité du financement des soins à domicile dès 2020 (contre deux tiers jusque-là).
Mais pour Karine Clerc, ces compensations ne permettront pas de couvrir l’entier des pertes communales. «A Renens, la perte initiale représentait 2.7 millions de francs. Elle sera partiellement compensée par le canton à hauteur d’un million de francs et d’autres mesures en cours de discussions. Ces compensations sont partielles face à la perte fiscale énorme. La réalité, c’est que les collectivités doivent se démener pour permettre aux entreprises de se soulager de la fiscalité»
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