L’IMPOLIGRAPHE - Ils sont quatorze. Ils nettoient jour et nuit, la semaine et le dimanche, les toilettes publiques de la Ville de Genève. Chacun en nettoie douze, quatorze, voire dix-sept, pour 23,60 francs ou, même, 21,70 francs de l’heure. Ils travaillent pour la Ville de Genève mais sont employés par une entreprise privée, Onet, à qui la Ville a sous-traité cette tâche. Et ils sont en grève depuis plus d’un mois pour que leurs droits et la loi soient respectés par leur employeur.
Pour qu’il leur paie le travail qu’ils font et qu’il ne leur paie pas, qu’il leur compense le travail de nuit qu’ils font et qu’il ne compense pas, qu’il leur fournisse du matériel de travail et de protection adapté, qu’il réintègre un travailleur licencié pour avoir participé au mouvement de revendication qui a abouti à la grève.
Exiger que la convention collective et les lois sur le travail et sur le travail au noir soient respectées, est-ce vraiment une revendication extrémiste? Et la proposition de faire engager par la Ville ceux qui déjà travaillent pour la Ville, une requête excessive?
Depuis des années, la Ville de Genève (comme le canton) a «externalisé» (c’est-à-dire sous-traité à des entreprises privées), sans aucune justification rationnelle, les tâches de nettoyage de ses bâtiments et installations. Et parmi elles, les toilettes publiques. Nul ne peut contester que cette tâche est nécessaire. Nul ne peut contester qu’elle est accomplie par la Ville. Nul ne peut contester que si ceux qui l’accomplissaient étaient employés par la Ville, ils bénéficieraient de conditions de travail, de droits sociaux, de salaires plus dignes de Genève que ce qui leur est imposé parce qu’ils sont employés par un sous-traitant.
Bref, on résume: les travailleurs luttent pour leurs droits. Le syndicat fait son boulot de syndicat. L’entreprise de travail temporaire qui fournissait à Onet des travailleurs temporaires qu’Onet utilisait objectivement comme briseurs de grève a décidé de ne plus les fournir. Des conseillères municipales et des conseillers municipaux relaient les revendications des travailleurs et demandent que la Ville emploie elle-même les travailleurs chargés de nettoyer ses toilettes publiques. Tout le monde bouge. Ou presque: pas la Ville.
C’est pourtant pas faute de le lui avoir demandé: un premier projet d’arrêté avait été déposé en 2008 (ouais, ça fait onze ans) par Maria Pérez, demandant que le travail de nettoyage des bâtiments de la Ville ne soit plus confié à des entreprises privées. Réponse (d’un Conseil municipal à majorité de gauche): non. Deuxième tentative, par le soussigné, en 2016: un projet de délibération demandant l’internalisation du personnel de nettoyage. Réponse? Pas de réponse, le projet vient seulement d’être renvoyé en commission. Troisième tentative il y a trois semaines: une motion de Maria Pérez demandant l’engagement par la Ville des 14 nettoyeurs employés par Onet, et donc la réinternalisation du travail de nettoyage des toilettes publiques. En commission elle aussi, la motion…
On demande la «réinternalisation» des nettoyeurs des toilettes publiques genevoises. C’est-à-dire leur engagement par la Ville, puisqu’ils travaillent pour la Ville. Mais sans faire partie de son personnel, sans en avoir les droits, le salaire, les protections sociales. Et elle ne coûterait pas grand chose, cette cohérence consistant à employer ceux qui travaillent pour nous: les entreprises à qui on a sous-traité ce travail, il faut bien les payer – la Ville paie ainsi à Onet pas loin d’un million pour le nettoyage des toilettes publiques – et si on ne leur confie plus ce mandat, on n’a plus à leur payer quoi que ce soit. Ainsi, l’engagement par la Ville de ceux qui nettoient les toilettes publiques de la Ville ne coûterait pas plus à la Ville qu’un jour de séance du Conseil municipal… et bien moins que la revitalisation des dorures du Grand Théâtre…
Bon, faudrait se réveiller un peu, là: à l’approche des élections municipales, toutes les formations de gauche affirment leur volonté unitaire. C’est beau, c’est bien, c’est même nécessaire. Mais ce qui serait encore mieux, c’est que cette belle volonté se traduise, quelque part du côté de l’Exécutif (de gauche) par des actes de gauche. Et que la Ville (de gauche) soit l’employeur (de gauche) des gens qui travaillent pour elle.
Oui, d’accord, on sait, comme l’écrit en langage freudien Le Temps du 12 mars: «les socialistes genevois ont, avec Ensemble à gauche et les Verts, un surmoi social qu’ils peinent à dépasser». Mais ce «surmoi social», après tout, ça serait pas justement ce qui justifie la gauche?
Mais bon, ça, c’est sûrement une question relevant des préoccupations de sectaires dogmatiques tétanisés par leur «surmoi social».
Le Courrier, 19 mars 2019, Pascal Holenweg, Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.
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