Mobilisation • Pour s’opposer à la fermeture de la moitié de ses offices de poste, l’association de défense du service public ACIDUS et les associations des quartiers organisent des actions durant cinq samedis de suite.
«La Poste a été payée avec les impôts des citoyens et leur appartient… Elle fait partie du service public et constitue un bien commun» selon Andrea Eggli. (Acidus)
La Poste suisse présentait en juin 2017 un nouveau programme d’amaigrissement drastique destiné à son réseau national d’offices postaux. Plus d’un tiers des 1250 bureaux de poste existants sont menacés, soit 495 (37%), tandis que 765 sont garantis jusqu’à 2020. Après cette date, la Poste se réserve le droit de réévaluer la situation et de décider de nouvelles fermetures d’offices. A Lausanne, ce sont la moitié des offices de poste qui sont menacés, soit huit sur les seize actuels.
Au niveau national, le géant jaune entend remplacer ces 400 à 500 succursales qui seront fermées d’ici à l’an prochain par une augmentation de son réseau de «filiales partenaires», c’est-à-dire 1’200 ou 1’300 agences postales qui seront intégrées à des commerces (épiceries, administrations locales et autres commerces de village), 1’300 services à domicile, et 500 à 700 points d’accès complémentaires destinés à la clientèle commerciale, d’après les termes de La Poste.
Un démantèlement que dénonce Andrea Eggli, présidente d’Acidus, pour qui la Poste trahit son mandat de service public universel. «La Poste a été payée avec les impôts des citoyens et leur appartient. Elle est une SA de droit public, la Confédération est son seul actionnaire, elle fait donc partie du service public et constitue un bien commun. Une décision majeure comme la fermeture d’un tiers de ses offices de poste devrait être discutée avec les communes et leurs habitants, et ne peut pas être décidée de manière unilatérale et autoritaire, comme c’est le cas aujourd’hui». En effet, les compétences en la matière sont exclusivement celles du Parlement fédéral, qui n’a pour l’heure pas réussi à infléchir la stratégie de la Poste.
Quant aux communes, elles ont la possibilité de saisir la Commission fédérale de la Poste (PostCom), qui fonctionne comme organe de médiation, afin de s’opposer à la disparition de l’un de leur office postal. Une démarche qui reste bien souvent lettre morte, comme le constate Andrea Eggli. «PostCom a rejeté 95% des recours des communes. Il y a donc un parti pris clair. Pour l’heure, la Municipalité de Lausanne s’est opposée à chaque fermeture d’office de poste, sans succès.»
Pétition contre les fermetures
Andrea Eggli dénonce également le manque de transparence de la Poste concernant les résultats financiers de ses offices postaux, alors qu’elle justifie leur fermeture par un soi-disant manque de rentabilité. «La Poste affirme que les guichets ne sont plus rentables, mais elle a toujours refusé de transmettre aux communes les comptes qui démontrent les pertes des offices. Le Conseil fédéral lui-même a affirmé qu’il n’avait pas accès à ces informations. Il est donc l’unique actionnaire, mais c’est la Poste qui décide seule.»
Et pour la présidente d’Acidus, les agences postales ne constituent de loin pas une alternative satisfaisante aux bureaux de poste. «Les filiales partenaires ne pourront pas prendre en charge l’ensemble des prestations offertes par un office de poste, ni garantir la même confidentialité. Par ailleurs, le personnel ne sera pas aussi bien formé qu’un employé de poste, qui aura suivi un cursus complet de trois ou quatre ans. Enfin, l’usager devra également prendre les frais à sa charge, en réalisant des tâches qui auparavant incombaient à la Poste, comme récupérer ses colis auprès d’automates dans les gares, et assumer les frais et le temps liés au transport. Tout ça alors que la Poste fait du bénéfice et que malgré les économies prévues, elle ne prévoit aucune amélioration des conditions de travail de ses salariés ou du service offert à la population.»
Afin de faire pression sur les autorités, Acidus et quatre associations de quartiers concernés par les fermetures ont prévu d’organiser des actions durant cinq samedis de suite devant des offices de poste menacés. Une pétition disponible sur le site d’Acidus circule également depuis cette semaine.
«Il n’y a pas encore eu d’annonce officielle de fermeture de notre office à Bellevaux, explique Gaëtan Golay, mais il fait partie de ceux qui sont en cours d’analyse jusqu’à 2020. Et son directeur a déjà dit qu’il n’était pas rentable. Une personne en déambulateur ne sera évidemment pas du même avis. On sait donc pertinemment qu’ils finiront par le fermer, ce n’est qu’une question de temps.»
Pour rappel, AQuBe et les habitants de Bellevaux avaient déjà organisé une manifestation devant leur poste le 26 janvier dernier, lors de laquelle ils avaient remis une pétition de soutien munie de 1400 signatures. Pour les habitants du quartier, la fermeture de leur office de poste est incompréhensible. «La Poste est toujours bien remplie, il y a souvent deux, voire trois guichets ouverts, témoigne Gaëtan Golay. Et Bellevaux est le quartier le plus peuplé de Lausanne, avec 10’000 habitants dans sa périphérie. Du point de vue de la fréquentation, rien ne justifie la fermeture. C’est un combat entre deux visions, le service public versus la rentabilité à n’importe quel prix.»
D’après Gaëtan Golay, les membres d’AQuBeet les habitants du quartier sont déterminés à se battre pour leur poste. «Il y a une dizaine d’années, les TL (Transports publics de la région lausannoise) avaient voulu supprimer notre ligne de bus numéro 3. Ils avaient du renoncer devant l’ampleur de notre mobilisation. On compte bien faire de même avec notre poste, même si on doit s’y enchaîner, on ira jusqu’au bout. Notre combat va plus loin que le simple sauvetage d’un office postal. On défend le service public, et c’est plus que nécessaire quand on voit les menaces de privatisation qui planent sur le CHUV..
Syndicom, partenaire social de la Poste, sera présent lors de ces mobilisations, qu’il soutient. Dominique Gigon, secrétaire syndical, constate en premier lieu l’attachement des usagers à leurs bureaux de poste, inquiets par la détérioration des prestations de ce service public. «A chaque annonce de fermeture d’un office de poste, d’importantes mobilisations populaires sont organisées. Début mai, trois cent personnes se sont réunies à Baulmes, un petit village de mille habitants, afin d’accueillir les responsables de la Poste venus discuter de la fermeture de leur office avec la Municipalité. Et ils leur ont remis une pétition avec plus de mille signatures. C’est la preuve que ces offices sont utilisés, qu’ils servent et qu’ils sont appréciés.»
Manque de transparence
Mais Dominique Gigon alerte également sur les conséquences désastreuses des décisions de la Poste pour ses salariés. «En 2017, la direction avait annoncé 1’200 licenciements, qui se concrétiseraient principalement via des départs naturels, comme la retraite, qui ne seraient pas remplacés. Mais il est clair qu’il s’agit d’un licenciement collectif, raison pour laquelle nous avons demandé la mise sur pied d’un plan social.»
La Poste emploie toutefois la fameuse tactique du salami, étalant les licenciements dans le temps. «C’est particulier, car les licenciements sont échelonnés dans le temps, et ils ne dépendent pas forcément de la fermeture d’un office. La direction peut prendre les devants et choisir de réduire l’effectif d’un office, sans que les salariés sachent exactement quand celui-ci sera fermé. On assiste donc à un dégraissage général, avec des gens qui ont parfois un âge assez avancé et qui vivent avec une épée de Damoclès sur la tête. Ils sont obligés d’accepter les changements de lieu de travail, ou alors d’opter pour le plan social.» Celui-ci prévoit des départs à la retraite anticipée à 58 ans, ou une aide à la formation et à la reconversion professionnelle.
Enfin, Dominique Gigon dénonce les conditions de travail précaires des salariés des filiales partenaires, qui se verront transférer une partie des prestations des anciens offices de postes. «C’est du dumping salarial et de la sous-traitance. Les salariés des filiales partenaires ne bénéficient pas de la CCT de la Poste, pour réaliser des tâches qui relèvent pourtant du service postal, et ne sont plus soumis à aucun contrôle. Ironiquement, on a vu certains anciens employés de la Poste licenciés se faire engager dans les petits magasins pour réaliser ce travail et sont payés deux fois moins,» Enfin, Dominique Gigon met en garde contre le manque de stabilité de ces nouvelles filiales partenaires.
«Il est très difficile pour de nombreux petits commerces des tenir la distance. Car la Poste décide du montant reversé en fonction du volume de prestations réalisées, par exemple le nombre de colis réceptionnés ou distribués, et cette somme n’est souvent pas assez importante puisque le dispositif est pensé comme une mesure d’économie. Les filiales partenaires doivent donc assumer un surplus de travail qui ne s’accompagne par forcément d’une augmentation du nombre de leurs clients et donc de leur bénéfice, et arrêtent souvent au bout de deux ou trois ans . Et à nouveau, c’est l’opacité qui règne concernant l’étendue du phénomène.»«La Poste ne nous donne pas de chiffres, déplore Dominique Gigon. On a juste des échos à propos de certaines fermetures dans les villages. Mais on ne sait pas, aujourd’hui, dans quelle mesure ces situations de partenariat sont pérennes. Et la Poste s’en lave les mains. Si le partenariat ne fonctionne pas, la filiale partenaire ferme, puis se fait remplacer par le service à domicile. Mais cela implique d’être chez soi, et ne garantit que les prestations postales les plus basiques.»
Actions prévues:
22 juin: Poste de Saint Paul, Avenue d’Echallens 61, 1004 Lausanne
29 juin: Poste de Bellevaux, Route Aloys-Fauquez 60, 1018 Lausanne
6 juillet: Poste de la Riponne, Place de la Riponne 4, 1005 Lausanne
7 septembre: Poste de Sévelin, Avenue de Tivoli 70, 1007 Lausanne
21 septembre: Poste de Saint François, Place Saint-François 15, 1003 Lausanne
Gauchebdo, 14 juin 2019 , Talissa Rodriguez
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