Davantage d’automates, de magasins, de supérettes, de fast-foods. Toujours moins de guichets, de cafés traditionnels, de bancs, de W.-C. En Suisse, les gares se transforment et se ressemblent, troquant des espaces publics – aux services gratuits – contre des zones commerciales. Une évolution néolibérale qui laisse derrière elle les plus vulnérables et a tout pour coller à la fièvre pendulaire touchant le pays.
Passagers modèles, ces personnes en transit constant consomment un café en vitesse entre deux correspondances mais ont en tête d’arriver le plus vite possible au travail ou à la maison. Pour ce public, les gares ont fonction de «hub», de plateformes de correspondances, où l’on passe en trombe. Restent les autres: aînés, parents de jeunes enfants, femmes enceintes, personnes en chaise roulante ou en béquilles, voyageurs armés de lourdes valises… qui n’ont pas moins le droit que les autres de se déplacer. Mais sont priés de ne pas trop réclamer d’attention et de libérer le passage pour les flux de passagers toujours plus denses.
Les associations d’usagers demandent de longue date de penser ces infrastructures importantes en considérant leurs utilisateurs comme des passagers avec des besoins divers. C’est trop exiger de l’ex-régie fédérale. Dans une pensée bulldozer, elle renforce son activité commerciale, balaie les critiques, assure que les besoins de ses «clients» sont satisfaits. Il n’y a que lors de pannes généralisées, lorsque soudain les trains ont plus de vingt minutes de retard, que même les plus robustes s’interrogent: «N’y avait-il pas des bancs ici, à une époque? Pour les toilettes, le plus facile est-il vraiment d’aller chercher un café dans le quartier?»
En fusionnant la sphère de consommation et la sphère publique, les CFF ont façonné notre façon de voyager: plus rapide et impersonnelle, sans temps de repos, sans commodités gratuites ou espaces dédiés à de vrais échanges. Il faut admettre que cela rapporte beaucoup d’argent et demande moins d’efforts. Mais quel triste miroir pour notre société.
Le Courrier, 3 juin 2019, Laura Drompt
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