La majorité des syndicats français appelle à une grève reconductible jeudi pour faire barrage à la réforme des retraites. Une mobilisation portée par la colère sociale qui croît partout en France. Les employés de la RATP ont été les premiers à lancer la fronde contre la réforme des retraites, avec une grève le 13 septembre. Jeudi, le mouvement devrait être national et massivement suivi.
Le gouvernement ira jusqu’au bout. A l’issue de trois jours de concertation avec les partenaires sociaux, Edouard Philippe, le premier ministre français, a réaffirmé mercredi 27 novembre sa «détermination» à refonder le système de retraite français. «Je ne suis pas tétanisé», a-t-il souligné en réponse aux syndicats qui prévoient de se mobiliser dès le 5 décembre. Une manière, à moins de dix jours d’un mouvement que les médias nationaux comparent déjà à celui de 1995, d’affirmer que le gouvernement se montrera ferme face à la rue.
Le pouvoir sait bien que le sujet des retraites est particulièrement explosif. Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, le projet avait déjà été reporté pour éviter de donner du grain à moudre aux gilets jaunes. Remises au gouvernement le 18 juillet, les préconisations de Jean-Paul Delevoye, haut commissaire à la réforme des retraites, ont donné la ligne directrice de la future réforme. Le gouvernement entend simplifier le système et mettre fin aux quarante-deux régimes de retraite au profit d’un seul.
Fin des régimes spéciaux
Paris insiste sur la suppression des régimes spéciaux, vendue comme une mesure d’équité. Fixés par décret, ces régimes concernent moins de 3% des salariés (ceux de la SNCF ou des industries électriques et gazières par exemple) qui bénéficient d’avantages dus à la pénibilité de leur travail.
Tout cela devrait être remplacé par un système universel par point. Tout au long de leur carrière, les salariés gagnent un point tous les dix euros de cotisations. Lors du départ à la retraite, le nombre de points sera multiplié par 0,55 euro pour calculer la rente annuelle du bénéficiaire.
Précaires pénalisés
Alors que le calcul de la retraite se fait aujourd’hui, pour les salariés du privé, sur les vingt-cinq meilleures années travaillées, le système désavantage fortement les travailleurs précaires enchaînant les contrats courts qui, mécaniquement, accumuleront moins de points. «Une porte ouverte à la précarisation» pour la Confédération générale du travail (CGT) qui, comme tous les syndicats à l’exception de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), craint que l’État diminue la valeur du point au moindre problème budgétaire.
Autre élément, qui hérisse cette fois-ci unanimement: l’instauration d’un âge pivot, soit «l’âge d’équilibre financier du système», explique Agathe, porte-parole du collectif Nos retraites, opposé à la réforme. «Etabli à 64 ans pour la génération qui partira en 2025, il aura vocation à se décaler chaque année puisqu’il prendra en compte l’expérience de vie des bénéficiaires.» Concrètement, si les travailleurs français pourront encore partir à la retraite dès 62 ans, ils devront probablement cotiser deux ans de plus pour toucher une retraite à taux plein, voire davantage pour les générations futures.
De fait, l’objectif du projet gouvernemental est de répondre au déficit structurel de financement des retraites, chiffré entre 7,9 et 17,2 milliards d’euros en 2025. «Le gouvernement a décidé de figer la part du produit intérieur brut consacré aux retraites à 14%», traduit la porte-parole du collectif. Au regard du nombre croissant de retraités consécutif au vieillissement de la population française, cela devrait, mécaniquement, entraîner une diminution «de 20% à 30% des pensions».
Agir sur les recettes
Unis sur la question, les syndicats engagés contre la réforme proposent, eux, plusieurs solutions pour améliorer les comptes et financer les besoins du régime: élargir l’assiette des cotisations sociales aux revenus financiers, mettre en place l’égalité réelle de salaire entre hommes et femmes, et utiliser les fonds aujourd’hui attribués à la caisse d’amortissement de la dette sociale, qui doit être dissoute en 2024.
Dans une interview accordée début septembre à Libération, Philippe Martinez appelait à réfléchir à de nouvelles entrées de cotisations, en augmentant les salaires et en supprimant des exonérations de cotisations des employeurs. Pour le secrétaire général de la CGT, au vu des dividendes versés aux actionnaires, il ne devait pas y avoir de problème de trésorerie dans les grandes entreprises!
Reste une zone de flou: les personnes touchées par la future réforme. Le projet initial prévoyait qu’elle s’applique aux générations nées après 1963. Mercredi 27 novembre, Édouard Philippe a reconnu entre les lignes que changer les règles pour des personnes n’étant qu’à cinq ans du départ à la retraite était une erreur. Le déclenchement de la réforme pourrait être décalé aux générations nées cinq ou dix ans plus tard voire, comme il en a été question un temps, aux nouveaux entrants sur le marché du travail. Des aménagements notables, mais probablement pas suffisants pour satisfaire les syndicats déjà sur la brèche.
Mobilisée en septembre, l’intersyndicale des salariés de la RATP – dont le régime spécial de retraite devrait être supprimé – a été la première organisation à appeler à une grève le 5 décembre, rapidement rejointe par les autres syndicats des transports, de la justice, de l’éducation ou encore de la santé. Gilets jaunes, chômeurs mobilisés contre la réforme des allocations chômage (lire ci-dessous), militants écologistes: aux forces syndicales devraient s’agréger toutes les colères sociales. De quoi garantir la réussite de la grève du 5 décembre et, probablement, permettre aux syndicats de construire une mobilisation dans le temps.
Chômeurs dans le collimateur
«Tuerie», «punition», «trappe à pauvreté». Même Laurent Berger, patron de la très modérée CFDT, perd son calme quand il s’agit de parler de la refonte du système d’allocations chômage. En vigueur depuis début novembre, avec de nouvelles mesures prévues pour avril, cette réforme suscite la colère de toutes les organisations syndicales. L’objectif du gouvernement est simple: économiser plus d’un milliard d’euros en 2020, 2,2 milliards en 2021 et 2,5 en 2022.
Si la réforme permettra aux travailleurs démissionnaires d’être indemnisés, une avancée largement mise en avant par le gouvernement, elle se caractérise surtout par un durcissement sans précédent des règles d’accès à l’assurance-chômage et une importante diminution des allocations.
Depuis le premier novembre, les allocataires de la caisse doivent avoir travaillé six mois sur une période de vingt-quatre mois pour ouvrir des droits, contre quatre mois sur vingt-huit par le passé. Selon l’Unedic elle-même, (l’institution en charge de la gestion de l’assurance-chômage), la mesure devrait concerner plus de 700 000 personnes, essentiellement des jeunes et des précaires.
En avril, c’est le système de calcul des indemnités qui devrait être durement affecté. Elles sont aujourd’hui calculées sur la moyenne des salaires touchés les jours travaillés par un salarié pendant un an. Le nouveau mode de calcul, qui pourra prendre en compte les deux dernières années, se fera sur la base du revenu mensuel moyen et prendra en compte les périodes non travaillées. Encore une fois, les salariés les plus précaires, intérimaires ou enchaînant contrats courts et périodes de trous seront les plus touchés. Toujours selon l’Unedic, la nouvelle formule affectera 850 000 chômeurs avec une baisse moyenne du montant des allocations de 22%.
Certes, la durée d’indemnisation pourra aussi être prolongée mais, dans l’ensemble, les chômeurs y perdront puisque moins d’un allocataire sur deux (44%) arrive aujourd’hui au bout de ses droits.
Nos confrères de Médiapart se sont attelés à modéliser les conséquences concrètes de la réforme. Selon le site d’information, une salariée ayant travaillé un mois sur deux ces deux dernières années pour un salaire de 1425 euros par mois verra, après la réforme, son allocation mensuelle passer de 1065 euros (sur douze mois) à 705 euros (sur vingt-quatre). Un salarié ayant travaillé deux mois, passé dix-huit mois au chômage puis ayant à nouveau travaillé quatre mois touchera 936 euros mensuels. Après avril, son revenu tombera à 282 euros.
Au total, ce sont près de 1,3 million de chômeurs qui seront concernés par la réforme, soit un allocataire sur deux de la caisse. De quoi, encore une fois, nourrir la contestation sociale. CPE
Le Courrier, 2 décembre 2019, Clément Pouré
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