Pourquoi les pédiatres vaudois sont «très inquiets»
Les antennes de l’HRC accueillent les patients dès 4 ans, mais sans médecins formés spécifiquement pour les enfants.
Les pédiatres vaudois sont «très inquiets». Ils l’ont fait savoir noir sur blanc à la Direction générale de la santé du Canton de Vaud (DGS) dans une lettre datée du 2 novembre. Raison de leur mobilisation: les permanences ouvertes à Vevey et à Monthey, antennes censées accueillir en dehors de l’hôpital flambant neuf de Rennaz les «petites» urgences, y compris «pour les enfants dès 4 ans», comme l’a spécifié la communication de l’Hôpital Riviera-Chablais (HRC), notamment dans un tous-ménages. «Nous ne comprenons pas et ne pouvons accepter qu’une structure publique, sous la responsabilité de la DGS et du médecin cantonal, cautionne une prise en charge non pédiatrique des enfants dès 4 ans, écrivent dans leur lettre les pédiatres vaudois. Nous pensons que cette «caution» publique va diffuser au sein de la population un dangereux message, à savoir que la santé des enfants n’a plus besoin d’être assurée en priorité par des pédiatres ou chirurgien·ne·s pédiatres diplômé·e·s.»
«Concurrence déloyale»
Contacté par nos soins, le président du Groupement des pédiatres vaudois (GPV), Claude Bertoncini, explique: «Certes, des médecins de famille sont formés en pédiatrie, surtout dans des régions excentrées où manquent ces spécialistes. Nous ne sommes pas absolument contre. Mais nous contestons que l’HRC fasse la publicité pour ces structures sans spécifier qu’elles ne disposent pas de pédiatres. C’est presque de la concurrence déloyale avec la garde pédiatrique mise en place depuis longtemps sur la Riviera (lire encadré).»
«Nous l’avons mal vécu, confirme un pédiatre. L’HRC communique sur la prise en charge dès 4 ans, donc les parents pensent qu’il y a forcément des pédiatres! Une fois sur place, ils ne vont pas faire demi-tour! Depuis longtemps, ce désir d’antennes de l’hôpital existait. Les pédiatres de la Riviera ont donc posé des questions ces dernières années, mais la direction de l’HRC bottait en touche. En octobre, nous avons été informés qu’il n’y aurait pas de pédiatres, sous prétexte qu’ils n’ont trouvé personne à engager! Comment ont-ils cherché? Même des médecins-chefs de l’hôpital n’étaient pas au courant. Cela nous a rendus furieux.» Claude Bertoncini détaille: «Ils disent avoir cherché, en vain, un chirurgien pédiatrique pour la petite traumatologie. Sans succès, ils auraient donc renoncé à tout pédiatre sur place.»
«Ils disent avoir cherché, en vain, un chirurgien pédiatrique pour la petite traumatologie. Sans succès, ils auraient donc renoncé à tout pédiatre sur place»
Claude Bertoncini, président du Groupement des pédiatres vaudois
Ce qui «fâche encore plus» les médecins interrogés est que le responsable des permanences est l’un des leurs: «Le Dr Piol est lui-même pédiatre! On nous promet qu’il va superviser ce qui se passe dans les permanences, mais ce sont de belles promesses pour calmer les gens, puisqu’il ne pourra de toute façon pas vérifier 100% des dossiers.»
«Les médecins des permanences ne sont pas des électrons libres, ils sont en contact avec nous, répond le Dr Nicolas Piol. Et ils ont vingt ans d’expérience avec les enfants. Ils ont déjà participé deux fois aux colloques avec nos pédiatres de l’hôpital de Rennaz, afin d’évaluer, pour certaines situations, s’il aurait fallu procéder différemment de ce qui a été effectué par le médecin de la permanence.» Le Dr Piol souligne: «Nous avons limité l’admission aux permanences aux enfants de plus de 4 ans: la prise en charge très spécifique des tout-petits se fait exclusivement au Centre hospitalier de Rennaz.»
Directeur de l’HRC, Pascal Rubin embraie: «Nous avons amélioré l’offre en renforçant cette spécialité à Rennaz, notamment en développant la chirurgie pédiatrique. Cela dit, pas besoin d’être pédiatre pour faire un plâtre à un adolescent de 15 ans.» Les pédiatres craignent justement là une attaque sur leur champ de compétences, comme ils l’avaient vécue il y a quelques années avec les assurances (lire encadré).
«Explosion des coûts»
Les pédiatres interrogés affirment que le système de permanences mis en place par l’HRC risque de faire exploser les coûts. «Bien sûr, des généralistes peuvent faire des plâtres et des sutures. Mais ces médecins – peu à l’aise, car il ne s’agit pas de leur spécialité – surtraitent souvent les enfants ou demandent des tests inutiles. Le contraire d’une médecine économique et de qualité.» Claude Bertoncini élargit la problématique: «Comme notre société veut la maîtrise des coûts de la santé, elle doit se poser la question de la prolifération de ces centres médicaux.»
Pour remédier à la situation, une réunion est prévue entre les pédiatres de la région, le GPV et la Société vaudoise de médecine. Mais à l’heure actuelle la date prévue n’est pas connue, alors que les pédiatres ont écrit en novembre et que les permanences ont ouvert en décembre. Le GPV se désole de n’avoir été «ni consulté ni averti» de ce projet de permanences. Déjà attaqué par de nombreux médecins qui l’accusent de ne pas suffisamment écouter le terrain (nos éditions du 23 juillet 2019 et du 31 janvier dernier), le directeur Pascal Rubin répond: «Nous avons souhaité un partenariat avec eux, mais ils n’en ont pas voulu, car ils préféraient rester faire la garde dans leurs cabinets plutôt que dans nos permanences.» «Une fois qu’ils avaient décidé sans nous, ce n’est pas à nous d’aller boucher leurs trous», estime un pédiatre.
24 Heures, Stéphanie Arboit ABO, 13.02.2020
Débuts chaotiques à l’hôpital de Rennaz
Riviera-ChablaisL’organisation du bloc opératoire, générant retards et annulations d’interventions, est le gros point noir. Le temps d’attente aux Urgences est aussi pointé du doigt.
«Une journée noire» ou «un vrai scandale». Dans sa lettre écrite à l’Hôpital Riviera-Chablais (HRC), Sonia, paraplégique, ne mâche pas ses mots. «C’est ce que l’on peut appeler «se foutre de la tête des gens», et je pèse mes mots.» Mardi 21 janvier, après avoir attendu près de cinq heures, on lui annonce que son opération, pourtant planifiée, est reportée à une date inconnue, «faute d’anesthésiste ou d’instrumentiste». Un report potentiellement dangereux pour Sonia, qui risque d’étouffer: «Un œdème grossit sur mes cordes vocales et l’espace pour respirer devient de plus en plus petit.»
Que s’est-il passé à Rennaz? Présente à 12h15 pour être opérée une heure plus tard, Sonia est installée sur un lit dans une salle d’attente et non dans une chambre: bien qu’à plusieurs reprises il lui ait été spécifié qu’elle devrait certainement rester la nuit, elle est néanmoins admise à l’hôpital de jour, comme si son opération devait se passer en ambulatoire. D’où un premier sentiment désagréable d’incompréhension. Elle n’est pas rassurée. «Au CHUV, pour plusieurs opérations, j’ai été hospitalisée dans une chambre où ma chaise roulante reste à côté de mon lit. Là, ils m’ont dit que ma chaise me suivrait où j’irais. Mais je n’ai pas eu confiance: ma chaise, c’est mes jambes!»
«J’ai pété les plombs»
À 15 heures, toujours rien. Sonia n’a pas accès à son propre téléphone, car le système d’hôpital de jour fait que ses affaires sont ailleurs, dans le vestiaire commun. À 16h45, «j’ai pété les plombs: je n’ai vraiment pas été sympa, parce qu’on m’a laissée attendre des heures sans boire. J’étais à jeûn, même de liquide, depuis 9 heures le matin. Ne pas manger, je m’en fiche, mais rester sept heures sans boire, c’est honteux.»
Après être retournée à son casier, mais sans réseau dans l’hôpital (comme l’a révélé «20 minutes» lundi, les autres opérateurs que Swisscom passent très mal au rez et au 1er étage du bâtiment), Sonia a appelé son mari sur le parking, où elle a attendu qu’il vienne la chercher, dans sa chaise roulante et dans la nuit.
Nombreux arrêts maladie au bloc
Contacté, le chirurgien de Sonia ne fait «aucun commentaire» sur cette annulation dans un hôpital pourtant flambant neuf. Pour mémoire, comme «24 heures» l’expliquait l’été dernier, l’établissement s’est débarrassé d’une partie des instrumentistes, à cause de l’installation à Rennaz: la concentration sur le site unique a réduit de presque moitié le nombre de salles d’opération (passant de 17 dans les différents hôpitaux à 10 à Rennaz, dont seulement 8 pour les opérations programmées, les 2 autres étant dédiées aux Urgences et à la Maternité).
Plusieurs personnes attribuent les «dysfonctionnements du bloc» au manque d’effectifs, et pas seulement du côté des instrumentistes, comme le détaille un médecin: «Le personnel doit s’occuper d’un patient en salle de réveil et ne peut donc pas anesthésier le prochain à opérer. La bonne volonté de certains employés s’est épuisée dans le chaos des premières semaines, générant absences et arrêts maladie. Le personnel restant a dû assumer la charge de travail en plus.»
«Et maintenant ils ne veulent plus continuer à faire des heures supplémentaires à n’en plus finir, c’est compréhensible», constate un autre médecin. Qui s’interroge: «Si tout le monde était là, est-ce que ça tournerait? À mon avis, il faut plus de personnel.» Sinon, «les chirurgiens doivent trop attendre, car le flux d’arrivée des patients ne fonctionne pas», constatent plusieurs personnes interrogées. Un médecin souligne: «L’ambiance de travail est horrible. Et cela nous donne le sentiment que nous avions raison de dire que ce serait trop petit. Davantage que le terrain, la direction a écouté les chefs de projet», des «soi-disant experts, dogmatiques, ayant contribué à démotiver les troupes», estiment plusieurs médecins.
AVC envoyé au CHUV
Autre cas. Une patiente âgée, dont les médecins soupçonnaient qu’elle était en train de faire un AVC, aurait attendu longtemps à Rennaz, avant d’être transférée au CHUV, où le diagnostic a été confirmé, puis réhospitalisée quelques jours après à l’HRC. Pourquoi pareille situation? Les minutes sont pourtant comptées lors d’un AVC, et le directeur avait affirmé que la prise en charge de ces cas à Rennaz constituerait un réel avantage pour la population? «Notre Stroke Unit (ndlr: unité cérébrovasculaire spécialement dédiée à la prise en charge des AVC) a ouvert fin 2019 mais sera opérationnelle par étapes. La filière de la thrombolyse (qui sert à dissoudre les caillots responsables d’un AVC) n’a ouvert que le 27 janvier. Si cette patiente avait besoin d’une thrombolyse, elle l’a sans doute passée au CHUV avant de revenir ici pour la suite du traitement (surveillance et réhabilitation précoce)», explique le Dr Nicolas Piol, directeur médical adjoint.
Quid de l’intimité et de l’angoisse des patients?
Une mère, dont l’enfant a subi plusieurs opérations ailleurs, a trouvé pour le moins «bizarre» l’hôpital de jour de Rennaz. «On se change dans un vestiaire avec des casiers, comme si on laissait ses affaires à la piscine. Puis, avec des habits en papier qui se déchirent facilement, on patiente dans une salle d’attente au milieu d’autres personnes. C’est étrange, car les gens s’interrogent entre eux sur le pourquoi de leurs opérations, alors qu’on n’a pas forcément envie de répondre.» La gestion de l’appréhension est dans pareil environnement toute différente: dans une chambre, le patient peut somnoler, les heures paraissent ainsi moins longues. «Souvent, les soignants donnaient quelque chose à mon enfant pour qu’il se détende sur son lit et soit moins angoissé. Je vois mal une personne moins mobile ou plus anxieuse attendre ainsi dans cette salle puis se rendre au bloc à pied…» La suite «n’est pas grave mais rocambolesque, estime cette mère. Personne ne savait où se trouvait ma fille. Une fois qu’on a su, le personnel ignorait où c’était.» Car les unités n’ont pas les noms des services mais se nomment «Jardin», «Fleurs», «Lac», «Horizon»…
Problèmes d’attente aux Urgences
Dans une lettre de lecteur parue dans nos pages mi-décembre était relaté le cas d’un homme de 78 ans, atteint de deux cancers, venu aux Urgences pour se faire remettre sa sonde gastrique servant à l’alimenter. Il attendra dix heures. «Au final, ils n’avaient pas le modèle adéquat pour régler la situation!» concluait la missive. Le directeur, Pascal Rubin, répondait dans nos pages que «la priorité est évidemment donnée aux patients qui nécessitent les soins les plus urgents, générant ainsi, en cas d’afflux, une attente pour les patients dont l’état de santé est le plus stable. D’où l’utilité de nos permanences médicales [pour] les petites urgences.»
Depuis, les témoignages se multiplient sur ces temps d’attente jugés exagérés, de plus de six heures. Mais les commentaires sont davantage positifs sur le personnel. Ainsi, celui d’Alain: «Hormis l’attente, le personnel est top et s’est très bien occupé de moi!»
24 Heures, Stéphanie Arboit ABO, 30.01.2020
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