Je suis rentré du Congo RDC le jour où le gouvernement décidait de la fermeture des écoles et du confinement des personnes de plus de 65 ans (j’en fais partie!). Je venais de passer deux mois, dans le cadre d’un projet de Médecins sans Frontières, à mettre en place un service de pédiatrie minimal de 60 lits dans une zone de santé du nord-est du pays
, tout en faisant face à un doublement du nombre d’entrées et à une mortalité qui, malgré mes efforts, stagnait à 9% – oui, presque un enfant sur dix décédait à l’hôpital. J’avais pu identifier que les nouveau-nés (en particulier ceux pesant moins de 2500 grammes) ainsi que les enfants gravement dénutris représentaient la majorité des décès et que des mesures simples pouvaient y remédier partiellement. On a une fois encore modifié l’organisation et, apparemment, sur les deux dernières semaines, cela semblait produire quelques effets.
Quel choc donc! Ma Suisse, si tranquille d’habitude, presque paralysée, comme presque toute l’Europe, avec un discours des autorités d’une grande solennité. J’ai compris à ce moment-là combien cette pandémie inquiétait la population et que les autorités, devant la rapidité de la dissémination et le peu de connaissance qu’on a de ce virus, avaient pris des mesures inimaginables encore quinze jours plus tôt, désormais difficilement contestables.
Le Covid-19, ce n’est pas l’Ebola qui tue encore 50% des personnes atteintes, mais qui est moins contagieux – ce n’est pas la malaria endémique «là-bas» –tout en représentant une proportion importante des décès des enfants en Afrique subsaharienne, où la mortalité des moins de 5 ans est d’environ 10%. Le Covid-19, c’est toutefois une maladie sans remède et potentiellement mortelle. Depuis lors, tous les jours, on compte les contaminés et les décès; c’est dire combien la mort a envahi la sphère publique. C’est aussi la soudaineté de la maladie et l’engorgement qu’elle entraîne dans les services de soins intensifs qui préoccupent, la difficulté de prévoir quand surviendra le pic épidémique et combien de temps durera cette situation totalement «anormale».
Cela questionne aussi notre mode de vie et notre système économique fondé sur une forme de démesure, de toute-puissance consécutive à l’oubli de notre vulnérabilité humaine dans un monde qui a tout fait pour l’oublier. On a davantage pensé la santé publique, au mieux en termes de déterminants sociaux, mais surtout liée à des choix et des volontés individuels sur lesquels il fallait agir; on a oublié qu’une pandémie pouvait nous tomber dessus. A part quelques experts, on ne peut pas dire que la société ait tiré des leçons de la pandémie de H1N1 de 2009 – qui heureusement n’a pas été aussi grave que prévu et pour laquelle un vaccin existait! Même André Duvillard, le responsable du Réseau national de sécurité, reconnaissait récemment n’avoir pas vu les effets pervers de la globalisation, avec près de 60% des médicaments – mais aussi des produits sanitaires de base – importés de l’étranger, essentiellement de Chine. Pour la simple raison que les coûts de production y sont moindre. Comme cela sonne «bizarre» en pleine crise de Covid-19!
Un autre élément important en ce début de pandémie est la vision que l’on a du système de santé: encore décrié il y a quelques mois, source de coûts à contrôler par le management, voire remplaçable par la technologie. On prônait un report des frais sur les patients-consommateurs, une volonté affichée de réduction des lits d’hôpitaux et la glorification des interventions ambulatoires. On espère maintenant que le système tienne le choc, et l’on redécouvre qu’il est d’abord tributaire de soignants empathiques et conscients de l’importance de leur rôle. Peut-être même que, parce que les réductions des budgets de santé ont été moins drastiques en Suisse que chez nos voisins du sud et de l’ouest, on s’en sortira mieux?
Enfin, je voudrais relever que cette crise sanitaire, comme la crise politico-financière de 2008 – les deux grandes crises sociales de cette génération – n’ont été véhiculées ni par les migrants victimes de conflits armés, de dérèglements climatiques ou sociaux, ni par les classes populaires, mais par le système économique globalisé et la mobilité transcontinentale des cadres politiques et économiques – et peut-être les touristes du «premier monde».
Pensons donc à la manière dont on encadre les demandeurs d’asile aux portes de l’Europe, mais aussi en Suisse, pour qu’ils bénéficient de la même protection que tout un chacun! N’est-ce pas le moment de leur donner une autorisation provisoire de rester?
Petit clin d’œil à Cuba qui envoie des soignants en Italie, en Argentine et au Venezuela pour combattre le Covid-19!
Il faudra peut-être, après cette crise, réapprendre enfin à «habiter le monde autrement». Et se rappeler que la solidarité n’est pas qu’un acte individuel, pour important qu’il soit, mais aussi une responsabilité collective, et donc politique.
En attendant, acceptons les recommandations de nos autorités et confinons-nous.
Merci à celles et ceux qui travaillent encore – et pour nous.
Notre chroniqueur est pédiatre FMH, Pédiatre FMH et membre du comité E-Changer, ONG suisse romande de coopération.
Le Courrier, 01.04.2020, Bernard Borel
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