Michel Bühler à rebrousse-poil - A l’heure où «déconfinement» semble rimer de plus en plus avec «retour au monde d’avant», il ne me paraît pas inutile de rappeler ce qui suit. Quitte à répéter ce qui a déjà été dit par d’autres.
L’ultralibéralisme est le terreau sur lequel la pandémie de coronavirus a pu s’épanouir. La destruction des écosystèmes et la diminution de la biodiversité ont favorisé le développement de ce virus et sa transmission à l’homme. L’intensité et la quantité des échanges commerciaux à l’échelle planétaire, comme le tourisme de masse, ont permis sa propagation rapide. Les délocalisations, le manque de stocks induits par les politiques de flux tendus ont entraîné les pénuries de moyens de protection et de matériel médical. Le démantèlement des services publics, voulu, organisé, a failli entraîner l’effondrement du système hospitalier.
«On ne pouvait pas prévoir une telle tempête!» affirment certains. Faux. Nombre de scientifiques, d’économistes, de politiques ont depuis longtemps tiré la sonnette d’alarme. La catastrophe, l’ampleur qu’elle a prise, est le résultat de choix suggérés par une idéologie, et mis en pratique depuis des années par les gouvernants.
Dans la sidération qui a prévalu au début de la crise, rappelez-vous, on entendait à tous les échos: «Rien ne sera plus jamais comme avant. Le monde d’après sera différent!» Et les adorateurs du «moins d’Etat» faisaient profil bas, muets, invisibles, planqués.
Durant les semaines du confinement, les mêmes autorités qui nous avaient menés au désastre ont géré la situation du moins mal qu’elles ont pu. Mais, que ce soit dans les exécutifs ou les législatifs, je n’ai entendu personne exprimer le moindre regret, présenter des excuses ou, reconnaissant ses erreurs, annoncer sa démission! Pendant ce temps, le dévouement du personnel médical et le simple courage de toutes celles et ceux qui sont restés au travail ont permis que nous continuions à vivre. C’est madame et monsieur Tout-le-Monde, ce sont les petites mains qui ont sauvé nos pays de l’effondrement, et pas ceux qui, jusque là, se pressaient – et se presseront? – sur le devant de la scène. Ce n’est pas la concurrence, dont les ultralibéraux nous ont rebattu les oreilles, qui a maintenu nos sociétés à flot, mais bien cette solidarité qu’ils ne cessent de dénigrer. Parce qu’elle leur fait peur?
Maintenant que l’on entrevoit le bout du tunnel, ceux qui espéraient un monde nouveau, ceux qui le dessinaient, sont remis de côté. Et l’espace médiatique est grand ouvert à ceux qui rêvent de revenir à un monde «normal», celui d’avant, qui a montré sa fragilité et sa nocivité. La parole est redonnée aux vieux caciques, même s’ils ont pour certains gardé leur apparence et leurs dents de jeunes loups. Ecoutez à longueur de journées ces sans-vergogne, ceux qui n’ont rien vu venir, qui nous ont conduit dans le mur, et prétendent reprendre les commandes: ils n’ont à la bouche que les mots de croissance et de consommation, ils n’ont d’autre horizon que de relancer l’économie. Quelle économie? Celle qui a permis l’enrichissement éhonté de quelques-uns, en abandonnant des milliards d’humains sur le bord du chemin? Celle qui, en précipitant le dérèglement climatique, promet de rendre la planète inhabitable pour nos petits-enfants?
Peut-on, pour l’avenir, faire encore confiance à ceux qui ont provoqué le cataclysme?
En revenant à la civilisation telle qu’elle était en 2019, nous préparerons un lit douillet pour de nouvelles pandémies, de nouvelles crises. Les animaux produisent des anticorps après avoir été frappés par une maladie. Je ne crois pas que les sociétés humaines réagissent ainsi: d’avoir survécu à ce début d’année 2020 ne rendra pas le corps de l’humanité immunisé contre les dangers qui le guettent.
Par paresse ou par bêtise, ne reproduisons pas les conditions qui permettront aux catastrophes de toutes sortes de fleurir de plus belle. Par paresse ou par bêtise, ne ranimons pas le passé.
Le vivant, sur la Terre, cette planète lancée dans le noir du cosmos, peut être menacé par des événements dont les causes le dépassent: la chute d’un astéroïde, un tremblement de terre, un tsunami. Mais les civilisations, elles, sont des créations humaines. Il ne tient qu’à l’homme de les maîtriser. Ou d’en changer: l’occasion est là.
La tâche est difficile, et ne s’accomplira peut-être pas sans douleur. Solidaires, il est temps de rechercher un autre chemin. C’est une magnifique raison de vivre encore et d’espérer.
www.michelbuhler.com
Dernier livre: L’autre Chemin, chroniques 2008 – 2018, chez Bernard Campiche Editeur, 2019.
Le Courrier, 28 avril 2020
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