Est-ce bien raisonnable ? Avec les frémissements de déconfinement, les affaires reprennent-elles ? Elles n’ont en fait jamais cessé pour le big business mondialisé, au taquet pour saisir les opportunités que représente cette crise sans précédent.
Ce qui n’est guère étonnant. L’histoire de l’humanité montre en effet que les temps qui suivent les périodes de crise sont, pour certains, une formidable occasion de booster leurs affaires. A condition, bien entendu, de savoir saisir cette opportunité.
C’est visiblement le cas du géant mondial de l’agrobusiness Bayer-Monsanto lequel, ces dernières semaines, a assailli les décideurs politiques européens de missives leur demandant de geler tout projet de réglementation plus stricte «visant à réduire l’utilisation de pesticides, d’engrais ou d’antibiotiques». Pour faire bon poids, Bayer-Monsanto estime que les nouvelles règles européennes sur les pesticides représenteraient non seulement des «obstacles au commerce», mais priveraient les pays d’Afrique et d’Amérique latine «d’opportunités de développement économique et de durabilité environnementale» dans un contexte de crise.
Karine Jacquemart, la responsable pour la France de l’organisation de défense des consommateurs Foodwatch, qui a eu connaissance de ces démarches, n’est pas surprise par ce «lobbying décomplexé, même en période de crise». Cela relève, selon elle, de la «stratégie du choc», telle que définie dans le livre éponyme de l’essayiste canadienne Naomi Klein, qui décrit comment tirer profit de l’état de sidération d’une population dans la foulée d’une crise, d’un désastre naturel, d’une guerre, pour lui faire accepter des mesures qu’elle aurait trouvé inacceptables en temps normal.
L’après-corona risque de faire largement recours à la «stratégie du choc», malgré les appels en faveur d’un monde plus humaniste, social, d’une agriculture de proximité, de moins d’inégalités, lancés ces derniers temps. La crise économique qui émerge dans la foulée de la crise sanitaire constitue en tout cas un terreau fertile où des populations traumatisées, craignant par dessus tout de se retrouver sans emploi, sans revenus, risquent d’être prêtes à tout accepter. Y compris de travailler davantage sans contrepartie salariale, comme l’a récemment recommandé l’USAM, l’Union suisse des arts et métiers, la faîtière des petites et moyennes entreprises en Suisse, entre autres «pour atténuer les effets de la récession» qui s’annonce.
Juste avant l’USAM, Pierre-Gabriel Bieri, au nom du Centre patronal vaudois, avait déjà mis en garde «certaines personnes tentées de s’habituer à la situation actuelle», séduites par «un retour à une vie simple et au commerce local», voire «la fin de la société de consommation»; une perception «romantique» du monde selon lui, qui n’a pas d’avenir. Une prise de position qui a fait les délices des réseaux sociaux, avec y compris un écho chez nos voisins français. Le ton est en tout cas donné. Et les affrontements ne font que commencer entre celles et ceux qui souhaiteraient tirer parti de la crise du coronavirus pour changer notre mode de consommer et de travailler, et d’autres qui ambitionnent de rebondir sur le choc généré par la pandémie pour imposer des mesures impensables il y a encore quelques semaines.
Notre chroniqueuse est journaliste.
Le Courrier, 6 mai 2020, Cathérine Morand
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