Un État social fort pour lutter contre «l’ennemi invisible»

A l’aune des crises diverses qui ont émaillé le XXe siècle, Ihsan Kurt invoque «l’importance d’une solidarité organisée et garantie par l’État» et plaide pour le renforcement de l’État social.
Chaque crise a des conséquences économiques, politiques et sociales, et la pandémie de Covid-19 aura également un impact sur notre vie dans les prochaines décennies. Le libéralisme des années 1980 est arrivé en réponse aux chocs pétroliers de 1973 et 1979.


Profitant de cette crise planétaire, les néolibéraux ont supplanté les politiques keynésiennes, estimant qu’elles ne suffisaient plus à améliorer la situation économique mondiale. C’est dans le sillage de ce tournant politique international majeur amorcé en Angleterre et aux États-Unis qu’ont été mises en place les politiques libérales conduisant au désengagement de l’État, à la privatisation et à la déréglementation. Les conséquences cette transition ont pesé tant sur le plan économique que sur le plan social. Si la crise pétrolière a servi le néolibéralisme, dont le monde paie les conséquences dans les domaines des politiques publiques – notamment celles de la santé et du social –, la lutte contre le coronavirus, cet «ennemi invisible», nécessite de renforcer l’État social et la démocratie.

Pour rappel, dès son arrivée au pouvoir en Grande-Bretagne en 1979, la conservatrice Margaret Thatcher a engagé une large politique de libéralisation, de privatisation et de déréglementation. Par la libéralisation d’abord, elle a mis en place un processus de désengagement de l’État dans le but de casser l’influence des politiques publiques. Elle est ensuite passée à l’étape de la privatisation en autorisant l’entrée des entreprises privées sur le marché public afin de concurrencer les anciens monopoles d’État. Enfin, la déréglementation a également généré des réformes structurelles réduisant considérablement le rôle de l’État dans le monde du travail.

Inspiré par les politiques de Thatcher, Ronald Reagan, arrivé au pouvoir aux États-Unis une année plus tard, a poussé globalement toutes les politiques économiques mondiales à s’orienter à droite. En tant que républicain conservateur, il a désengagé l’État de certaines de ses responsabilités publiques et réduit la fiscalité. Les conséquences ont été désastreuses: dégradation des infrastructures et du secteur public, augmentation de la précarité salariale, de la pauvreté et des disparités sociales. Une des répercussions directes du thatchérisme a été l’émergence de la propriété privée et la diminution du pouvoir d’agir des syndicats. Ce désengagement de l’État vis-à-vis de l’économie a eu des effets encore plus graves: l’endettement des ménages, l’augmentation de la pauvreté et des inégalités.

Depuis décembre dernier, le monde est face à un «ennemi invisible». Certains chefs d’État parlent «d’état de guerre». Les milieux académiques et intellectuels débattent déjà sur l’ère post-Covid-19. Les expériences des crises politiques, économiques et sanitaires vécues depuis le début du XXe siècle prouvent l’importance d’une solidarité organisée et garantie par l’État. Actuellement, la plupart des analyses montrent que les grands perdants seront des pays comme les États-Unis et la Grande Bretagne, qui ont privatisé leurs secteurs de santé. Avec la privatisation des politiques publiques, et notamment des secteurs de la santé et de l’éducation, on prépare l’affaiblissement du système immunitaire d’une société, car si on fait confiance aux experts, Covid-19 ne nous quittera pas de sitôt. Certains évoquent une éventuelle deuxième vague. Si cette deuxième vague n’était pas sanitaire, elle serait assurément économique, politique et sociale. C’est pourquoi il paraît essentiel que les gouvernements développent des politiques publiques adéquates.

Depuis le début de la crise sanitaire en cours, tous les milieux se sont tournés vers leurs gouvernements respectifs. Peu importe les caractéristiques du système au pouvoir. En Chine, en Iran, en Arabie Saoudite, aux États-Unis, en Italie, en France, en Allemagne comme en Suisse, les milieux économiques, politiques, sociaux, professionnels, culturels, sanitaires attendent que l’État sorte sa baguette magique et élimine le Covid-19. Si les potions magiques n’existent pas, il existe cependant des politiques testées et éprouvées. Pour lutter contre l’épidémie et se préparer à d’éventuelles vagues successives, de quelque nature qu’elles soient, il faudrait renforcer l’État social. Il ne s’agit pas d’un placebo, mais d’un véritable outil de prévention sociopolitique. Le rôle de l’État doit se renforcer dans le système de santé suisse. La création d’une caisse maladie unique gérée par l’Etat ainsi que l’instauration d’un système de revenu de base inconditionnel ne seraient plus le reflet d’un clivage idéologique gauche-droite, mais la mise en pratique de politiques économiques démocratiques.

Notre invité est travailleur social, conseiller communal PS, Prilly (VD).

Le Courrier,

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