Le Géant jaune a dévoilé sa stratégie de développement jusqu’en 2024, affirmant vouloir maintenir 800 bureaux de poste en Suisse. La méfiance reste de mise. «Il est hors de question d’accepter des conditions de travail au rabais en raison du nouveau statut juridique du réseau postal», explique Christian Capacoel, porte-parole de Syndicom.
Le 14 mai, la Poste a annoncé sa rutilante et nouvelle stratégie pour les années 2021 à 2024. Son nouveau directeur général Roberto Cirillo a affirmé vouloir «miser sur les atouts traditionnels» de son entreprise «pour favoriser la Poste de demain». Ainsi les points forts en seront les services logistiques (notamment la livraison de colis, ndlr), les services de communication et le réseau postal, à en croire Urs Schwaller, président du Conseil d’administration de l’institution.«Une Poste au rabais n’est pas une solution envisageable et il est indispensable qu’elle renoue avec la croissance pour pouvoir continuer à remplir, par ses propres moyens, son mandat de service universel pour tous», a précisé l’ancien conseiller aux États fribourgeois PDC. Au passage, l’entreprise a aussi décidé de renforcer la place de CarPostal comme transporteur régional des voyageurs sur route.
Incertitudes et manque de concret
En ce qui concerne la fermeture des bureaux postaux, qui a fait l’objet d’une intense opposition de collectifs citoyens ou des communes depuis des années, la direction du Géant jaune a indiqué qu’elle stabiliserait le réseau à environ 800 filiales en exploitation propre. Dans celle-ci, des entreprises privées ou les autorités publiques pourront aussi trouver un point de chute pour proposer des services.
S’agit-il d’un vrai changement de cap pour une amélioration du service public? Contactée, la Fédération romande des consommateurs (FRC) se montre méfiante face à la réorganisation. «Nous n’avons pas encore pris position car il n’est pas possible de voir concrètement les changements que cela amènera en matière de service public», prévient Robin Eymann, responsable de la politique économique de l’association.
«D’un point de vue comptable, mettre ensemble lettres et colis pourrait sembler intéressant. Toutefois, cela dépend aussi de la manière de calculer le déficit du service public. On considère actuellement qu’un facteur qui livre une lettre est un coût. Est-ce que cela restera ainsi s’il livre en plus un colis qui amène de l’argent à la Poste? Cette dernière a eu tendance à sortir des comptes du réseau postal toutes les activités ren- tables pour bien montrer le déficit du service universel. Est-ce que cela va changer?, je n’en suis pas sûr. Urs Schwaller a d’ailleurs déclaré qu’il voulait maintenir le déficit à environ 100 millions (ce qui est un chiffre arbitraire, on pourrait aussi se satisfaire d’un déficit 200 millions voire plus)», précise le spécialiste. «Quant à l’ouverture des offices postaux à des tiers, cela reste également abstrait pour le moment. Nous souhaiterions par contre éviter que les offices de poste se transforment en de nouveaux lieux permettant de démarcher les clients pour des assurances maladies ou ne saisisse l’occasion pour remettre à hauteur d’enfants les sucreries. Si cela conduit à améliorer la rentabilité des offices et limiter leur réduction, c’est par contre positif», explique encore Robin Eymann.
Démantèlement trop avancé
«Le mal est fait, le démantèlement a été trop loin. Il est difficile de se réjouir aujourd’hui du maintien de 800 bureaux, alors qu’il y en avait précédemment 3500 dans toute le Suisse», tempère Olivier Cottanoud, président du Syndicat autonome des postiers (SAP), qui se méfie des effets d’annonce du Géant jaune.«En 2001, on nous avait promis qu’on ne descen- drait pas en-dessous de 2700 bureaux», rappelle-t-il.
A priori, il n’est pas contre des synergies avec d’autres partenaires, notamment les collectivités publiques. «La Poste propose déjà des vignettes automobile ou fourni des attestations de casiers judiciaires. On pourrait élargir ces prestations. Il est aussi intéressant que la Poste utilise son réseau pour acheminer jusqu’au pas de porte les colis d’entreprises privées, qui n’auraient pas envie de monter à Evolène pour un seul paquet», argumente le Valaisan.
Refus syndical des contrats individualisés
Tous deux signataires d’une toute nouvelle CCT pour les employés postaux, les syndicats Transfair et Syndicom s’avouent soulagés qu’aucune suppression de poste ne soit prévue parmi le personnel de base. Mais le tandem reste dans l’expectative.«Le maintien des bureaux de postes est un point positif pour les employés et pour le service public, mais la transformation du RéseauPostal en société anonyme séparée (RéseauPostal SA, ndlr) pourrait être problématique si la stratégie de la Poste n’est pas concluante. Il faut à cet égard une garantie claire de la part du groupe quant aux finances de la nouvelle entité. En outre notre syndicat sera attentif à ce que les conditions de travail restent les mêmes que dans la CCT qu’on vient de négocier. Il est hors de question d’accepter des conditions de travail au rabais en raison du nouveau statut juridique», explique Christian Capacoel, porte- parole du syndicat.
«Nous avons toujours défendu l’idée que la Poste puisse offrir des nouveaux services, le réseau a une valeur pour le service public qui doit être exploité. Si celui- ci s’ouvre à l’avenir à d’autres prestataires et aux concurrentes de la Poste, notamment dans le marché postal, elle doit pouvoir maintenir un modèle commercial équitable et viable», prévient Christian Capacoel.
Le POP-Vaud en première ligne
Outre ces demandes, les syndicats veulent que soit renforcée l’implication des partenaires sociaux dans le processus de réorganisation. «Il faut élaborer des concepts de formation pour le perfectionnement et la formation continue», revendique Transfair. Au niveau technique, Syndicom veut que la CCT Poste CH s’applique sans modifications à tous les nouveaux domaines et à toutes les nouvelles sociétés de La Poste. «En outre, les unités restantes du groupe Poste doivent être obligées de recourir à RéseauPostal pour fournir leurs prestations et ces dernières doivent être indemnisées à prix coûtant. De même, il appartient au législateur d’inscrire le mandat de prestations de RéseauPostal dans la loi», alerte le syndicat. Vaste programme.
«Même si nous ne connaissons pas tous les détails du projet, nous veillerons à ce que l’entreprise et que les conditions de travail ne soient pas démantelées», souligne l’ardent et populaire défenseur d’un «service public digne», Augustin Mukamba, employé postal à Daillens, syndicaliste Syndicom et vice-président du POP-Vaud. Un parti qui a soutenu ces derniers mois plusieurs actions contre les fermetures de bureaux postaux dans le Canton.
Gauchebdo, 22 mai 2020 par Joel Depommier
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