Durant la pandémie, le personnel hospitalier s’est engagé à fond. Aujourd’hui, il fait face au danger du retour à une « normale » faite d’austérité et de sous-effectif. Questions à Véronique (prénom d’emprunt),infirmière et militante SSP au CHUV.
Véronique* est infirmière diplômée, spécialisée en soins continus et soins intensifs. Elle travaille dans un service de soins intermédiaires du CHUV.
Quel regard portes-tu sur la crise Covid qui vient de se passer, plus spécialement sur le CHUV?
Véronique* – Pendant les deux mois et demi de crise, environ 1200 infirmiers et infirmières étaient disponibles en plus dans le canton de Vaud, en raison de l’interdiction des vacances. Le CHUV a fait un travail formidable pour gérer la crise, mais cela s’est bien passé surtout grâce au dévouement des collaborateurs et des collaboratrices de la santé. Un travail exceptionnel,dans le calme et avec un professionnalisme hors-pair. En fait, nous n’avons pas eu le choix! Le personnel a dû accepter de ne pas prendre ses vacances. Il était envoyé dans d’autres secteurs ou services, ou a dû changer complètement sa fonction, du jour au lendemain. Les services de chirurgie sont devenus des services de médecine. Nous avons dû montrer beaucoup de souplesse et de sens d’adaptation. C’est comme si un professeur de français devait soudain enseigner les maths.
Et concrètement, pour tes collègues et toi?
Le positif, d’abord. C’était presque beau de voir comment le CHUV a fait son plan d’urgence et reconfiguré des services en quinze jours: c’était très impressionnant. Les unités de soins intensifs ont été augmentées; de cinq, on est passé à onze unités mobilisées. Cela, grâce à la mobilisation du personnel. Exemple: le service d’orthopédie a été fermé car il s’agit d’opérations électives; tout le personnel de l’orthopédie, jusqu’aux instrumentistes du bloc, a été envoyé aux soins intensifs, y a travaillé; les étudiant-e-s étaient aussi mobilisé-e-s. Il fallait du monde pour les frottis, pour la surveillance, pour les téléphones aux familles et aux proches, etc. Tout le monde a joué le jeu.Mais on ne nous a pas demandé si nous étions d’accord: nous avons bossé, reçu les plannings pour la semaine suivante, nous ne savions pas où nous travaillerions, parfois même le matin de notre prise de service. C’était dur, mais cela s’est très bien passé. Il était aussi frappant de constater qu’il n’y avait pratiquement pas d’absentéisme, peu de malades. Nous avions aussi la satisfaction de faire du travail de bonne qualité, car nous étions bien dotés. Nous avions assez de monde pour faire notre boulot. C’est une sacrée différence par rapport à la situation habituelle.La crise semble passée, au moins pour l’instant.
Quelle est la situation aujourd’hui?
Maintenant, c’est le retour à la «normale». Le manque de soignants et de soignantes se fait à nouveau sentir. L’activité habituelle des hôpitaux redémarre sur les chapeaux de roue. Une collègue me disait: «Parfois, le soir, je vais au lit avec une boule au ventre, en angoissant de savoir si le lendemain sera aussi tendu que le jour qui vient de passer». Une autre me dit:«Certains jours, j’espère que les patients ne me poseront pas de questions parce que je n’ai pas le temps de leur répondre». Autour de moi, il y a aussi une forme d’acceptation: «ça va, on s’en sort». Mais avec l’expérience, on voit que ça ne va pas, que la débrouille ne suffit pas. On espère juste qu’il y aura des jours plus calmes, que nous aurons bientôt des vacances ou des congés, etc. Nous nous adaptons beaucoup, nous nous formatons. Mais à terme, cela ne peut pas suffire. Nous devons vraiment nous mobiliser pour plus de personnel dans les services.
Ce que nous demandons, c’est simple: une compensation pécuniaire pour le travail exceptionnel fourni pendant la crise, une prime Covid 19; être en mesure de récupérer nos vacances cet été, pas seulement à partir du mois de septembre; et moins d’applaudissements,mais plus de personnel!
Pourquoi penses-tu que c’est le bon moment pour s’organiser collectivement et revendiquer des postes de travail?
On a vu pendant le COVID que les gens veulent être soignés, sauvés. Les patient-e-s veulentde la qualité, une prise en charge. Il y a une attente de la population que l’on fasse bien notre travail. Les applaudissements, c’est aussi sortir de l’ombre: les gens ont vu, ont compris ce que veut dire travailler dans le secteur de la santé. Et je parle ici de toutes les professions, de tous les métiers du CHUV: femmes de ménage, infirmières ou secteur de la logistique. Tout le monde est sorti de l’ombre.
Climat de mobilisation au CHUV
Le personnel hospitalier vient de vivre des moments particulièrement difficiles. Nous nous sommes mobilisés comme jamais pour soigner la population et accueillir, dans les meilleures conditions possibles, tous nos patients. La population nous a soutenu et a démontré sa solidarité de manière spectaculaire.
Après trois mois de sacrifices, le Conseil d’État vient de répondre à notre pétition demandant une classe de plus pour les infimières, physios, TRM, ergos, diététiciennes et assistantes. C’est non.
Cette décision est incompréhensible. Tout le monde appelle à la « nécessaire revalorisation des métiers de la santé ». Alors pourquoi cette décision totalement opposée à ces proclamations unanimes ?
Cela ne peut pas être une question d’argent: le Conseil d’État vaudois a 856 millions de francs de recettes imprévues. Depuis le début de la crise, il distribue des dizaines de millions de francs à toutes sortes d’entreprises, y compris des multinationales qui font d’énormes bénéfices. Pourquoi pas un seul franc pour le personnel de la santé ?
Pour notre syndicat, il n’est pas question de lâcher l’affaire. Nous demandons une prime pour notre engagement exceptionnel; de meilleurs salaires pour nos professions exigeantes et utiles à la population; des embauches pour que notre travail soit la prise en charge des patients, et pas la course à la rentabilité économique.
Les Hôpitaux universitaires de Genève vont embaucher 380 personnes. Le CHUV doit aller dans le même sens. Cela pourrait être le début de la reconstruction des hôpitaux publics.
Pour ces raisons, le SSP – groupe CHUV appelle le personnel à se mobiliser, dans une assemblée générale extraordinaire qui doit avoir lieu dès la fin août.
Le SSP-CHUV a écrit une lettre à toutes les organisations professionnelles et syndicales, appelant à la tenue d’une assemblée générale unitaire qui doit décider de nos actions.
Notre syndicat agit également pour que nos collègues du secteur parapublic nous rejoignent dans une large mobilisation, avec le soutien de la personnel.
C’est le moment ou jamais!
SSP – Groupe CHUV
29. juin 2020, David Gygax, Services publics
Interview photo Valdemar Verissimo
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