Champagne pour les actionnaires, misère pour les travailleurs…

L’étude d’Unia sur les écarts salariaux révèle un accroissement des inégalités et de l’avidité des actionnaires, dont certains profitent aussi des aides étatiques pour s’enrichir.

Unia le révèle: le coronavirus n’a pas empêché les entreprises suisses de rémunérer grassement leurs CEO et leurs actionnaires. Le syndicat a publié la semaine passée sa traditionnelle étude sur les écarts de revenus dans 37 sociétés suisses, dont 33 cotées en Bourse. Des chiffres basés sur l’évolution entre 2018 et 2019, attestant que ces différences ne cessent de s’accroître. Autres chiffres stupéfiants: ceux révélés par les informations disponibles sur les versements aux actionnaires en 2020, en pleine période de crise sanitaire. «La crise du Covid-19 n’a pas freiné la voracité des actionnaires et des CEO en matière de rémunérations et d’indemnités excessives, bien au contraire», écrit Unia dans un communiqué.

Du profit avec du chômage partiel

Ainsi, sept entreprises ayant fait appel à l’aide du chômage partiel en raison du coronavirus ont approuvé, durant leurs assemblées générales tenues entre le 26 mars pour la première et le 12 mai pour la dernière, le versement de millions de francs à leurs actionnaires. Au total, près de 4 milliards. Il s’agit de LafargeHolcim, Lindt & Sprüngli, Sika, Straumann, Adecco, ABB et Swatch. Pour les cinq premières, le montant des dividendes a même augmenté par rapport à 2019. Et comble du cynisme, l’entreprise Straumann, active dans la technologie médicale, a non seulement versé plus de 91 millions à ses actionnaires, soit une hausse de 9,7% par rapport à 2019, mais a annoncé dans la foulée que 660 personnes allaient être licenciées dans le monde d’ici à la fin de l’année, dont une soixantaine à Bâle…

Unia rappelle que la Confédération a garanti 60 milliards de francs d’aide aux sociétés dans le cadre de la crise du Covid-19; or, le nombre de chômeurs augmente massivement. «Les entreprises reçoivent un soutien pour qu’elles maintiennent les emplois et continuent à payer les salaires au lieu de verser des dividendes», note l’étude, ajoutant qu’en renonçant à ces derniers, l’entreprise Straumann pourrait financer les 660 emplois durant près de 2 ans sans recourir au chômage partiel.

A ce sujet, le syndicat déplore le rejet par le Conseil des Etats, en mai, de la motion pourtant acceptée par le National visant à interdire les dividendes en cas de réduction d’horaires de travail (RHT). Un refus consécutif, d’après le syndicat, d’une levée de boucliers des lobbyings des grandes sociétés. Autre grief, le manque de transparence des entreprises en matière de chômage partiel, aucun des groupes mentionnés n’ayant communiqué des détails à ce sujet.

Redistribution du travail vers le capital

Du côté des profits réalisés en 2019, les 33 sociétés cotées en Bourse étudiées ont, à elles seules, versé aux actionnaires une somme totale de 63 milliards de francs sous forme de dividendes et de rachat d’actions, soit 4,4 milliards de plus qu’en 2018. Un montant total à mettre en regard avec les dépenses annuelles de la Confédération qui se sont élevées à 71 milliards l’an passé.

L’écart se creuse aussi en matière de redistribution du travail vers le capital. Ainsi, «une grande partie de la valeur ajoutée générée par le 1,6 million d’employés des 37 groupes étudiés est transmise aux actionnaires», souligne Unia, indiquant qu’en moyenne, 67% de la valeur ajoutée totale est allée aux travailleurs pour le paiement des salaires et 33% dans les poches des actionnaires. A contrario, cinq de ces sociétés, EMS-Chemie, Partners Group, Swiss Life, Swiss Re et Nestlé (voir graphique ci-dessous) reversent davantage à leurs actionnaires qu’à leurs salariés. La palme revient à l’entreprise de la famille Blocher, qui redistribue 65,95% du produit du travail à ses actionnaires (462 millions), les frais salariaux ne représentant que les 34,05% (239 millions). Ainsi, sur une journée de 9 heures, un ouvrier d’EMS-Chemie travaille 3 heures pour payer son salaire et 6 heures pour engraisser les actionnaires, dont les trois filles du patriarche qui se sont partagé 326 millions…

 

Le fossé s’accroît

L’étude d’Unia constate également un accroissement du fossé entre bas salaire et salaire des top managers dans les 37 entreprises analysées. Cet écart s’est creusé passant de 1 à 142 en 2018 à 1 à 148 en 2019. C’est-à-dire que le plus haut salaire versé dans une société représente en moyenne 148 fois le salaire le plus bas. L’écart le plus important est celui existant chez Roche: le CEO de l’entreprise pharmaceutique, Severin Schwan, gagne 308 fois plus que l’ouvrier le moins bien payé et affiche un salaire de 15,1 millions de francs annuel. Un salarié touchant 3800 francs par mois devrait ainsi travailler 308 ans pour obtenir cette somme. Et un autre avec un salaire de 5000 francs devrait s’y atteler durant 232 années…

Après Roche, en tête du palmarès, suivent le patron d’UBS, Sergio Ermotti, avec un écart de 1 à 241, Mark Schneider de Nestlé (1:230), Vasant Narasimhan de Novartis (1:207), Tidjane Thiam de Credit suisse (1:206), Ulrich Spiesshofer d’ABB (1:195), Nicolas Bos de Richemont (1:193), Mario Greco de Zurich Insurance (1:183) et Nicolas Hayek de Swatch (1:158).

Moteur de l’inégalité sociale

Ces écarts salariaux et ces revenus faramineux, tant des CEO que des actionnaires, sont d’autant plus intolérables que près de 2 millions de travailleurs sont aujourd’hui touchés en Suisse par le chômage partiel, sans compter ceux qui n’ont plus d’emploi. Beaucoup sont actifs dans la vente ou l’hôtellerie-restauration où les salaires sont très bas. Avec un revenu de 4000 francs, une personne en RHT ne touche que 80%, soit 3200 francs. Impossible pour elle de faire face aux dépenses courantes.

Pour Unia, les grandes entreprises helvétiques sont le moteur de l’inégalité sociale et exacerbent la crise du coronavirus. Le syndicat met en garde contre la possibilité, même si la crise sanitaire est surmontée, d’instauration de politiques d’austérité dans tous les pays comme cela a été le cas après la crise financière de 2009. «Les privatisations et les réductions dans le secteur de la santé depuis lors ont causé de nombreux décès, qui auraient pu être épargnés», note l’étude. Face aux sommes d’argent gaspillées, repartant alimenter les marchés financiers, Unia souligne qu’il est «important d’envisager d’autres façons de distribuer et d’utiliser la richesse sociale». Et de prendre l’exemple des 63 milliards de profits des 33 sociétés cotées en Bourse qui permettraient de créer 1,2 million d’emplois au salaire minimum de 4000 francs, soit près d’un quart des postes de travail existants en Suisse.

L’évènement syndical, Sylviane Herranz, 1er juillet 2020

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