Quelle place pour la télémédecine?

Pendant la période de confinement que l’on vient de passer, le télétravail a été largement utilisé, aussi dans le suivi de patients. Par exemple, une collègue m’expliquait comment, en trois jours, les Hôpitaux universitaires genevois (HUG) lui avaient permis d’avoir son poste de travail informatique à domicile, avec l’accès à toutes les données de son bureau de consultation externe, et qu’elle pouvait ainsi maintenir le lien avec «ses» adolescents par plateforme internet interposée.

Beaucoup de généralistes ou de psychiatres installés ont fait de même dans cette situation exceptionnelle, où sortir de chez soi (qui plus est pour aller chez son médecin) pouvait comporter un risque et était formellement déconseillé – en particulier pour les situations de maladie chronique justifiant un suivi étroit.

C’est dans ce contexte que plusieurs acteurs du monde de la santé ont découvert une autre façon d’accompagner les malades. Cette pratique va perdurer d’une manière ou d’une autre et se généraliser… pour autant que ces prestations soient reconnues à leur «juste (?) valeur». Hasards du calendrier, c’est en février 2020 que l’Inselspital de Berne a organisé le premier Congrès national sur la télémédecine d’urgence. C’était une manière de saluer la création de la chaire de télémédecine – une première européenne – de la faculté de Berne.

On a ainsi pu comprendre combien les hôpitaux en Suisse devaient s’équiper rapidement en téléneuroradiologie, en particulier dans la prise en charge des accidents vasculaires cérébraux (AVC), ce qui permet de gagner de précieuses minutes et d’améliorer le pronostic de récupération. On y apprenait aussi que, selon une étude allemande, la télémédecine avait permis de ne mobiliser le médecin urgentiste qui vient en appui de l’équipe d’ambulanciers sur place que 15 minutes, contre 60 minutes dans une intervention «classique». L’utilité de la télémédecine a également été soulignée, entre autres, dans le suivi de patients porteurs d’un pacemaker cardiaque ou de diabétiques insulino-dépendants. Et qu’elle peut venir en aide aux régions rurales où le manque de médecins est criant. En rappelant, au détour, l’utilité du dossier médical électronique – un serpent de mer dont on vient de nous dire qu’il ne verra pas le jour avant au moins une année encore.

Par ailleurs, est «opportunément» apparue fin avril l’application «Que dit le pédiatre?» mise au point par Baby and Kids Care, une entreprise de services qui vante l’absence d’attente fastidieuse dans les cabinets pédiatriques ou les urgences hospitalières, une consultation avec un pédiatre chevronné tout en restant dans le confort de son domicile – donc plus écologique (!) –, une diminution des coûts de la santé (?), avec une consultation facturée malgré tout à 39 francs, totalement remboursée par la LAMal. Soit un produit de consommation mis sur le marché de la santé, avec des «arguments de vente» qu’aucun médecin qui s’installe n’oserait invoquer.

Vous l’aurez compris: si certaines applications ont tout leur sens en termes de santé publique, d’autres ne servent que de pis-aller à une situation socio-sanitaire inadéquate. La désertification médicale de nos régions périphériques ou l’absence de gardes pédiatriques appropriées devraient, me semble-t-il, plutôt pousser à mettre en place des mesures incitatives, voire des obligations sociales pour y pallier, de manière à ce que la population ait un accès direct à un professionnel qui puisse répondre à ses besoins.

Ce sont des choix de société. Et la pandémie de la Covid-19 nous rappelle que la centralisation des soins montre ses limites et doit nous faire repenser l’organisation sanitaire. De plus, dans les soins, la rencontre avec l’autre, la confiance mutuelle et la connaissance de l’histoire familiale et personnelle du patient par le soignant sont des éléments essentiels d’une bonne prise en charge. Cet accompagnement permet aussi au patient de mieux se connaître, savoir ménager sa santé et gérer les crises par lui-même, donc peut-être moins recourir aux urgences. Le fait de vanter qu’en un clic vous avez accès depuis chez vous à un spécialiste qui va résoudre votre problème est franchement réducteur et entre dans une vision consumériste de la santé.

Finalement, cela pose une autre question. Le domicile semble devenir le seul lieu sûr: on y pratique ses loisirs (télévision, jeux vidéo, coaching sportif via internet), mais aussi ses liens (via les réseaux sociaux ou les sites de rencontres), sa formation (enseignement à distance), son travail, ses achats… et ses soins. Cela efface progressivement les espaces collectifs (lieux de travail, écoles, hôtels, hôpitaux) qui, pourtant, sont des lieux de rencontres et nous rappellent que nous sommes interdépendants, que la solidarité nous est essentielle.

Alors télémédecine, oui. Mais pas n’importe comment. Ni à tout prix.

Pédiatre FMH et membre du comité E-Changer, ONG suisse romande de coopération.

Le Courrier, A votre santé, 24 juillet 2020, Bernard Borel

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