Après RFFA, la fin des cadeaux fiscaux?

L’initiative Zéro pertes, en votation le 27 septembre à Genève, vise à empêcher les baisses d’impôt et préserver les services publics dans le cadre des réformes fédérales de la fiscalité.
Après le refus de la RFFA (Réforme fiscale et financement de l’AVS) en 2019, une réplique de cette votation se jouera dans les urnes. Le 27 septembre, les Genevois se prononceront sur l’initiative «zéro pertes», qui veut mettre un terme aux «cadeaux fiscaux».

Selon ce texte, la mise en œuvre genevoise des réformes fiscales fédérales devra maintenir le niveau des recettes cantonales et communales, préserver le financement des services publics et à la population, ainsi que renforcer la progressivité de l’impôt. Dernier élément: Genève devra agir «en faveur de la réduction de la concurrence fiscale intercantonale».

L’initiative a été lancée par la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS) et la gauche au printemps 2018, dans le cadre du débat sur la troisième réforme de la fiscalité des entreprises (RIE III) refusée en 2017. Alors que Berne planchait sur un nouveau projet, Genève travaillait sur un taux d’imposition unique jugé trop bas par les initiants. Ils reprochaient au Conseil d’État de ne pas tenir compte du vote populaire. Les initiants voulaient fixer un cadre à ce que deviendra l’application genevoise de la RFFA. La suite? Le 19 mai 2019, la RFFA fédérale et son application genevoise ont «malheureusement» été acceptées, a rappelé Davide De Filippo, président de la CGAS, en lançant mercredi la campagne pour Zéro pertes.

Pour le député et directeur d’une fiduciaire Yvan Zweifel, chef du groupe PLR et membre de la commission fiscale, «les initiants sont des mauvais perdants. Zéro pertes a été lancée dans l’unique but de contrer la RFFA. Ils auraient donc dû retirer leur texte afin de respecter le vote démocratique.» Les milieux économiques, la droite, le MCG et le Conseil d’État rejettent l’initiative.

Un filet social troué

Sa portée est générale et elle est «d’autant plus pertinente aujourd’hui que nous vivons les prémices d’une crise économique sans précédent depuis plusieurs décennies», insiste Davide De Filippo. «Le confinement a mis en lumière les trous béants du filet social. Pour sortir de cette crise, lutter contre la paupérisation, limiter les licenciements et soutenir les entreprises, il faudra des investissements massifs de l’État.» Il en faudra aussi pour la transition écologique, ajoute le député Vert Jean Rossiaud.

Sonia Pignat, infirmière aux soins intensifs de l’Hôpital cantonal, souligne les besoins déjà pressants dans les services publics: «L’Hôpital est en sous-effectif, ce qui use le personnel et a un impact sur la qualité des soins.» Les femmes, en particulier, ont besoin d’un service public fort parce que les prestations publiques les soulagent en partie de leur charge familiale, soutient Françoise Nyffeler, du Collectif genevois de la grève des femmes. Zéro pertes favorisera la redistribution des richesses, selon Jean-Luc Ferrière (SIT). «Genève est le canton le plus inégalitaire de Suisse. La fortune moyenne y est de 245’000 francs par habitant, mais 40% ont zéro franc de fortune, c’est choquant.»

Face à tous ces besoins, les ressources perdues en raison des baisses fiscales des dernières années «feront cruellement défaut», déplore le député d’Ensemble à gauche Jean Burgermeister, qui les estime à un milliard de francs. Zéro pertes est un bouclier contre «la politique des caisses vides qui sert de prétexte aux coupes».

«La concurrence fiscale brise la solidarité intercantonale», dénonce le conseiller national socialiste Christian Dandrès. L’initiative, en plus d’éviter que Genève la pratique, enjoindra le canton à inciter les autres à limiter cette spirale vers le bas, selon les initiants.

Solidarité intercantonale

«Tous les cantons au même taux? C’est la négation du fédéralisme, chacun doit pouvoir adapter sa fiscalité à sa réalité économique», répond Yvan Zweifel. Zéro pertes correspond à un «suicide fiscal», car elle n’empêchera pas les autres cantons de pratiquer une fiscalité basse et donc d’attirer les entreprises ou contribuables fuyant Genève, affirme-t-il en substance. Quant aux prestations, la droite considère qu’une fiscalité «attractive» permet de maintenir les entreprises et donc de financer les prestations grâce à leurs impôts. «La gauche prétend que la fortune des gros contribuables est captive, mais mon métier me montre que ce n’est pas le cas. On peut en tout cas affirmer que des départs, en cas de hausses d’impôt, auraient des conséquences énormes en termes de recettes fiscales.» La fiscalité n’est que l’un élément constituant l’attrait de Genève, qui peut compter sur ses infrastructures comme l’aéroport ou sa qualité de vie, répondent les initiants.

On le voit, le chemin pour prétendre maintenir les recettes et les prestations varie selon qu’on se situe à gauche ou à droite de l’échiquier politique. Et encore, une partie de la gauche s’était rangée à la perspective que plusieurs années après la RFFA, on assisterait à un retour à l’équilibre budgétaire. En cas de victoire le 27 septembre, les initiants sont donc conscients qu’ils devront encore batailler pour l’application de leur texte.

Le Courrier, 26 août 2020, Rachad Armanios

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