En finir avec l’investissement militaire

Les partisans de l’interdiction du financement de fabricants d’armes présentent leur initiative populaire. Si l’initiative est acceptée, les investisseurs suisses ne pourront plus acquérir des parts de fabricants d’armes comme ces chars Abrams américains. Même si elle a accepté, de justesse, le principe d’achat de nouveaux avions de combat, la Suisse doit prohiber à une grande partie de son industrie financière les investissements dans des fabricants de matériel de guerre.

Tel est, du moins, le but de l’initiative «Pour une interdiction du financement des producteurs de matériel de guerre» soumise au vote le 29 novembre prochain. Le texte, déposé en 2018 avec 104’000 signatures, est distinct de l’initiative sur les multinationales responsables sur laquelle le peuple aura à se prononcer le même jour. Ses partisans ont développé leurs arguments hier matin face aux médias.

Lacune législative

Le but du texte est de combler une lacune de la loi fédérale sur le matériel de guerre. Interdisant l’investissement direct dans des entreprises qui réalisent plus de 5% de leur chiffre d’affaires dans du matériel de guerre interdit (comme les armes nucléaires, biologiques, chimiques ou encore les mines antipersonnel), l’article 8 de la loi n’interdit pas leur financement, à moins que «le but visé (soit) de contourner l’interdiction du financement direct».

De plus, les initiants s’insurgent contre le fait que l’investisseur n’est pas punissable s’il «ne fait que s’accommoder de l’éventualité d’une infraction aux interdictions de financement», ainsi que le spécifie l’article 35 de la loi. Un investisseur suisse n’a donc pas le droit d’acheter des actions d’un fabricant d’armes prohibées, mais il peut acheter des obligations ou tout autre titre de dette émis par ce dernier en toute connaissance de cause.

«Une partie de l’argent géré en suisse ou détenu par les caisses de pension sert par conséquent à financer directement l’industrie de l’armement à l’étranger», s’est désolée Lilian Studer, conseillère nationale écologiste.

La BNS chez Boeing

Le texte vise explicitement à interdire de tels placements à la Banque nationale suisse (BNS), au Fonds de compensation de l’AVS, aux institutions de prévoyance (caisses de pension) publiques et privées ainsi qu’aux fondations. Il veut aussi étendre cette interdiction aux banques et aux assurances par une loi ad hoc, ainsi qu’obliger la Confédération à «s’engager sur le plan national et international en faveur de la mise en place de conditions analogues».

De fait, l’industrie de l’armement existe dans les portefeuilles de plusieurs de ces ­ins­titutions. La BNS détient notamment 0,38% de Boeing, qui réalise environ le tiers de son chiffre d’affaires par sa division Defense & Space. Elle possède aussi 0,3% de General Dynamics et une part équivalente de Raytheon, selon les données fournies par la banque à la Securities & Exchange Commission (SEC), l’autorité boursière américaine. Ces trois sociétés se classent parmi les dix plus grands fabricants d’armes au monde.

Le texte ne mentionne cependant pas les sociétés de conseil en placement, les gérants de fonds d’investissement indépendants et la multitude d’acteurs qui ne sont ni des banques ni des assurances. «Aucun texte ne peut être parfait», justifie Thomas Bruchez, cosecrétaire politique du Groupe pour une Suisse sans armée (GSSA), l’une des organisations initiantes.

«Pas le bon moyen»

Une interdiction des investissements dans les producteurs de matériel de guerre prohibé n’est pas le bon moyen de rendre le monde plus pacifique, critique le message du Conseil fédéral présenté aux Chambres l’an dernier lors de la prise de position des Chambres. Des contrôles des exportations harmonisés au niveau international seraient plus efficaces, estime-t-il.

De plus, l’initiative introduirait une contrainte dans la fortune privée et compliquerait la tâche des institutions de prévoyance. Elle limiterait aussi l’indépendance de la BNS. YG

Le Courrier, 2 octobre 2020, Yves Genier

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