Coronavirus : menace de plaintes en cascade contre des États

Le Pérou, le Mexique et l’Argentine sont menacés de plaintes par des multinationales pour des mesures adoptées pendant la crise. Le Chili aussi, où un référendum pour une nouvelle constitution a lieu le 25 octobre.

On le redoutait, c’est arrivé. Comme le révèle le Transnational Institute, trois États latino-américains au moins sont menacés de plaintes devant des tribunaux arbitraux pour des mesures adoptées pour faire face à la pandémie. Début avril, le parlement péruvien a promulgué une loi qui prévoyait la suspension du péage autoroutier pour faciliter le transport de biens et de travailleurs, alors que beaucoup de Péruviens ont perdu leur emploi. La réponse ne s’est pas fait attendre. Dès juin, plusieurs concessionnaires autoroutiers étrangers ont annoncé leur intention de traîner le Pérou devant des tribunaux arbitraux. Effrayée, la ministre de l’Économie a lancé un processus pour contourner la loi et conserver le paiement des péages et le 25 août la cour constitutionnelle lui a donné raison, statuant que la nouvelle loi était contraire à la constitution.

On appelle cela le «chilling effect»: un gouvernement renonce à adopter une mesure d’intérêt public par peur de devoir payer des compensations très élevées à l’investisseur étranger, auxquelles s’ajoutent les frais de justice.

Le Mexique et l’Argentine sur la sellette

Peu après, c’était au tour du Mexique de fâcher les investisseurs étrangers pour avoir imposé des restrictions à la production d’énergies renouvelables en raison de la baisse de la consommation d’électricité. Ni une, ni deux: des cabinets d’avocats spécialisés dans l’arbitrage international ont exhorté les multinationales à porter plainte contre Mexico. Des entreprises espagnoles et canadiennes ont expressément menacé de le faire.

C’était ensuite au tour de l’Argentine, qui s’enfonce toujours plus dans une crise sans fin. Le 22 mai le gouvernement a déclaré qu’il ne pouvait pas rembourser la dette envers les porteurs d’obligations étrangers, dont l’américaine BlackRock, la plus grande société de gestion de portefeuilles au monde. Au même moment, d’âpres négociations étaient en cours pour restructurer 66 milliards USD de dette publique, une mesure considérée comme nécessaire même par le FMI. Pourtant, le 4 août, l’Argentine a accepté de payer 54.8 USD pour chaque 100 USD de dette, un montant très proche des 56 USD demandés par BlackRock, alors que le gouvernement avait proposé d’en payer 39 USD.

Cette capitulation n’est pas due au hasard: le 17 juin, White and Case, le cabinet juridique de BlackRock, a menacé de considérer tous les moyens à sa disposition – une référence à peine voilée à l’arbitrage international – si l’Argentine n’acceptait pas les conditions de ses clients. C’est cette étude d’avocats qui avait permis à 60′000 créanciers italiens de gagner contre l’Argentine en 2016 (cas Abaclat), après qu’ils avaient refusé la restructuration de la dette proposée par le gouvernement pour faire face à la crise économique de 2001. Ils avaient empoché 1.35 milliards USD.

Lorsque les multinationales font du treaty-shopping

En Amérique latine toujours, la Bolivie a demandé de suspendre temporairement les processus d’arbitrage en cours dans deux litiges qui portent sur l’extraction minière, dont celui qui l’oppose à la multinationale suisse Glencore. La pandémie l’empêchant de fournir les documents requis, La Paz invoque un cas de force majeure. En vain. Cette plainte ne repose pas sur l’accord de protection des investissements (API) avec la Suisse, que la Bolivie avait déjà dénoncé, mais sur celui avec la Grande-Bretagne, la multinationale suisse étant arrivée à se faire passer pour anglaise. On appelle cela le « treaty-shopping », à savoir la capacité de dénicher l’accord de protection des investissements le plus favorable et de se faire passer pour une entreprise du pays, via l’une de ses nombreuses filiales.

La réforme constitutionnelle du Chili menacée par des plaintes

Ces cas montrent aussi la nécessité de permettre aux États de porter plainte à leur tour contre les investisseurs étrangers qui violent les droits humains. C’est prévu dans quelques très rares API, mais pas dans ceux de la Suisse. C’est plutôt le contraire qui se passe: le groupe français Suez a menacé de plainte le Chili s’il re-municipalise la gestion de l’eau, comme souhaité par les habitants de la ville d’Osorno, dans le sud du pays. En cause : une coupure d’eau de dix jours survenue l’année passée, après que 2′000 litres de pétrole avaient été déversés dans l’usine d’eau potable gérée par la filiale de la multinationale française.

Les habitants s’étaient pourtant exprimés dans le cadre de la consultation sur la réforme constitutionnelle, dont le vote aura lieu le 25 octobre. Le plebiscito pourrait déclencher à son tour une avalanche de plaintes si la volonté populaire contredit les intérêts des investisseurs étrangers, très présents au Chili dans tous les secteurs, à commencer par les services publics.

Isolda Agazzi
Une version de cet article a été publié par Global, le magazine d’Alliance Sud

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