C’était mieux avant !

Dans son ouvrage La stratégie du choc (1), l’auteure Naomi Klein mettait en garde contre les actions archibrutales des tenants d’un ultralibéralisme tout-puissant qui génèrent sidération et paralysie dans les populations impactées. Le coup d’État de Pinochet au Chili en 1973, concocté par le pouvoir politico-économique nord-américain, en était un exemple criant.

La violence de la répression militaire qui s’était abattue sur une des démocraties les plus solides d’Amérique du Sud permit aux «Boys de Chicago» d’expérimenter en grandeur nature les prémices de la libéralisation tous azimuts sans contre-feu syndical.

Dans la situation sanitaire actuelle, on serait bien emprunté de discerner une action concertée et volontaire, décidée en amont par un shadow cabinet, n’en déplaise aux complotistes de tous poils. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que l’occasion fait le larron! Si le Covid a quelque peu grippé la machine capitaliste, certains secteurs s’en tirent très bien, et les conséquences néfastes suivent l’ordre pyramidal établi en touchant les gens d’abord à la base, et pas du tout au sommet. Ledit sommet en profite, via sa branche étatique, pour accroître les mesures liberticides un peu partout. Dans ce contexte, on ne peut s’empêcher de constater que l’analyse de Naomi Klein (planification initiale mise à part) s’adapte parfaitement aux temps sanitaires que nous vivons. Le monde subit une «stratégie du choc» qui va durablement paralyser les esprits.

Au cours de la première vague pandémique, il était courant d’imaginer qu’une conscience égalitaire et écologique allait croître parmi les opinions publiques et les gouvernants. On sait aujourd’hui qu’il n’en est rien. Le nationalisme le plus rance le dispute à un complotisme bas du front – ils avancent souvent de pair – en Occident et ailleurs, et la doxa libérale ne s’est jamais mieux portée. Plus ennuyeux, la plupart des habitant·e·s de la planète, quels que soient leur obédience politique, leur statut social ou leur profession, n’aspirent qu’à une chose: retrouver leur emploi, leur vie d’avant. Il en va du Covid comme de Trump, le phénomène est tellement néfaste que tout ce qui a précédé lui est préférable… Qui aurait cru, il y a encore quelques années, que l’élection d’une vieille ganache insipide comme Biden ferait pousser un soupir de soulagement aux plus acharné·e·s des militant·e·s de gauche dans le monde entier!? Qui aurait cru que les gens supplieraient de retrouver leur boulot mal payé, leur société inégalitaire, que les artistes pleureraient leur situation antérieure, déjà peu enviable?

Le danger est qu’une fois la situation sanitaire apaisée ou assimilée, on assiste à un phénomène de sujétion massive au système, pour peu qu’il nous épargne confinements et crises économiques. L’attaque du Capitole par des rednecks déchaînés nous a valu de grandes phrases sur la nécessité de préserver la Démocratie, prétendument incarnée par l’auguste bâtisse. De même, les Macron et consorts profitent-ils habilement de l’aubaine que représente la montée en puissance des complotistes et crypto-fascistes pour se présenter en ardents défenseurs du «pouvoir régalien», plus que jamais garant du «vivre-ensemble». Cela n’empêche pas les mêmes de souffler sur les braises vivaces de l’islamopohobie via des lois «anti-séparatistes» qui sont exactement le contraire de leur intitulé!

Difficile pour les vrai·e·s militant·e·s de gauche de faire entendre leur voix dans un contexte aussi fangeux. Biden a tancé à juste titre les suprématistes blancs pendant l’attaque du Capitole, mais dans le même temps a lancé, lyrique (en paraphrasant David Bowie!): «This is not America!». La vraie Amérique serait donc un parangon d’égalité et d’amour du prochain. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on peut d’ores et déjà compter sur les «pouvoirs régaliens», aux États-Unis comme partout, pour nous préparer un avenir radieux, tant sur les plans sanitaires que politiques. Et pour surfer sur les futurs chocs!

Notes
1. Naomi Klein, La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre, Actes Sud, 2008.

Notre chroniqueur est auteur metteur en scène, www.dominiqueziegler.com
Dernier ouvrage: Helvetius (théâtre), éd. Le Chamois rouge, 2020.

Le Courrier, 17 février 2021, Dominique Ziegler

0 commentaire à “C’était mieux avant !”


  1. Aucun commentaire

Laisser un commentaire





Bad Behavior has blocked 227 access attempts in the last 7 days.