99% : Pas besoin de redistribution ?

Contrairement à ce que veut faire croire l’intox du Conseil fédéral, l’initiative 99% s’attaque à une réalité: le creusement brutal des inégalités.

L e 26 septembre, nous voterons sur l’initiative de la Jeunesse socialiste (JS), intitulée «alléger les impôts sur les salaires, imposer équitablement le capital», mieux connue comme «initiative 99%». Le texte, soutenu par les syndicats, veut taxer plus fortement les revenus du capital: dividendes, bénéfices sur les actions, gains en capitaux et intérêts. Pour cela, il propose d’imposer à 150% les revenus du capital supérieurs à un montant défini par la loi. Ce montant n’est pas inscrit dans le texte d’initiative, mais les JS articulent le chiffre de 100 000 francs. Deuxième volet de l’affaire: les recettes supplémentaires qui en découleront devront profiter aux personnes touchant de petits ou moyens revenus – sous la forme de réductions d’impôts ou de transferts sociaux.

CIRCULEZ… Conseil fédéral, organisations économiques et partis de droite mènent une campagne virulente contre l’initiative 99%. Selon le ministre UDC Ueli Maurer, la Suisse n’aurait «aucun besoin d’une redistribution supplémentaire des richesses». En comparaison internationale, la charge fiscale grevant le capital en Suisse serait déjà assez élevée, et la pauvreté aurait «considérablement diminué au cours des dernières années». Circulez, pas de creusement des inégalités à voir.

LES RICHES EN FORME OLYMPIQUE. Les données sur la répartition des fortunes en Suisse dévoilent un tableau différent. Selon l’Administration fédérale des contributions (AFC), en 2017, 55% des ménages helvétiques déclaraient une fortune inférieure à 50 000 francs – 23% d’entre eux n’en avaient aucune. Ces 3 millions de contribuables se partageaient le 1,39% de la fortune totale déclarée en Suisse.
De l’autre côté de l’échelle sociale, 6,2% de contribuables millionnaires contrôlaient près de 69% de ce patrimoine. Les super-riches se taillent la part du lion, avec 17 078 personnes (0,32% des contribuables), dotées de plus de 10 mil-lions de francs, détenant les 32,38% de la fortune totale! Dix ans plus tôt, en 1997, 3% de millionnaires ne détenaient «que» les 49,9% du bas de laine global (1). La tendance est nette: les inégalités de fortune se creusent fortement. Même le Conseil fédéral a dû le reconnaître dans son mes-sage consacré au texte des JS (2).

LE GRAND ÉCART DES REVENUS. En matière de revenus, l’évolution est similaire. Dans son dernier rapport sur la répartition des revenus, l’Union syndicale suisse dresse le constat suivant: «Les salaires les plus élevés ont grimpé en flèche surtout jusqu’à la crise financière, de sorte que les écarts salariaux sont maintenant énormes» (3). Une tendance confirmée par le quotidien pro-patronal alémanique NZZ (4). Des choix politiques ont encore accentué la tendance: l’USS met le doigt sur la suc-cession de révisions fiscales favorisant les hauts revenus et les détenteurs de capitaux, pendant que l’explosion des primes
d’assurance maladie appauvrissait les ménages à faibles et moyens revenus. Ce creusement des inégalités, amorcé dans les années 1990, a été éperonné par la crise du coronavirus: selon une étude du KOF, les membres de ménages à très bas revenu ont subi une forte baisse de leur budget – 20% en moyenne – depuis le début de la pandémie. En revanche, les foyers aisés ont souvent pu augmenter leur bas de laine.

PAS DE «RUISSELLEMENT». Quid de l’évolution de la pauvreté? Le dernier pointage officiel, réalisé par l’OFS, indique que les 8,7% de la population helvétique, soit environ 735 000 personnes, vivaient au-des-sous du seuil de pauvreté en 2019. Il s’agit du taux le plus élevé depuis 2014. Durant cette période, le revenu disponible équivalent (calculé en déduisant les dépenses obligatoires du revenu brut d’un ménage, tout en tenant compte de la taille de ce dernier) des 10% les plus précaires a reculé de manière significative.Contrairement à ce que prétendait Ueli Maurer lors de la conférence de presse qui a lancé la campagne du Conseil fédéral contre l’initiative 99%, l’explosion des patrimoines les plus élevés n’a pas «ruisselé» vers le reste de la population. Au contraire. La concentration des richesses s’est accompagnée d’une augmentation de la précarité et de la pauvreté. Dans un tel contexte, exiger un petit effort de redistribution supplémentaire aux détenteurs de capitaux semble bien la moindre des choses. ◼

(1) Administration fédérale des contribu-tions: Statistiques de la fortune des personnes physiques pour l’ensemble de la Suisse. Chiffres pour 2017 (données les plus récentes) et 1997.
(2) Message du Conseil fédéral, p. 35.
(3) USS: Verteilungsbericht 2020. Juillet 2020.
(4) NZZ, 11 août 2021

Journal Services Publics, SSP, GUY ZURKINDEN

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