Prévoyance vieillesse sociale : une profonde réforme s’impose !

Le Parlement débat de la réforme LPP 21. Le compromis présenté par les «partenaires sociaux» a été mis à mal par la commission compétente du Conseil national. Il y a cependant unanimité sur une mesure: la baisse du taux de conversion. Or la situation impose une réflexion plus profonde sur notre système de prévoyance (1).

Dans un précédent article (2), nous avons rappelé que la prévoyance vieillesse sociale est composée de deux parties: l’AVS, qui est le pilier de base, et le 2e pilier obligatoire qui le complète. Il est imposé à chacune de ces parties une exigence sociale, définie dans un article constitutionnel: pour l’AVS, «les rentes doivent couvrir les besoins vitaux de manière appropriée»; pour le 2e pilier obligatoire, «… conjugué avec l’AVS et l’AI, permettre à l’assuré de maintenir de manière appropriée son niveau de vie antérieur» (3).

DES PRINCIPES SOCIAUX. Pour ce faire, chacune des parties fonctionne en respectant certains principes sociaux fixés dans la loi qui la concerne. Les principes sociaux fondamentaux concernent leur financement. Pour l’AVS, il s’agit du principe social de financement par répartition. Comme ce principe a une certaine complexité, nous allons le rappeler: son aspect financier est la redistribution, chaque année, des cotisations encaissées auprès des actifs-ves du moment sous forme de rentes aux retraité-e-s du moment; son aspect social est la «solidarité entre générations»: chaque génération est d’abord «payeuse» de cotisations jusqu’à sa retraite, puis «receveuse» de rentes dès le passage à la retraite de ses membres. Cette solidarité entre générations se fait donc dans le temps; cela exige que chaque génération reçoive, dès la retraite de ses membres, un «retour de solidarité» pour la contribution qu’elle a déjà fournie lorsqu’elle était active (4).

SOLIDARITÉ À PLUSIEURS FACETTES. Cette solidarité est d’une réelle complexité. L’AVS, même sous sa forme immature actuelle, liée au fait que ses rentes ne couvrent pas encore les besoins vitaux et dépendent du salaire cotisant, a aussi d’autres principes sociaux, plus ou moins complexes. Par exemple, la solidarité interne à une génération: en plafonnant les rentes sans plafonner les salaires cotisants, elle réalise une solidarité des assuré-e-s ayant des salaires supérieurs au plus petit salaire donnant droit à la rente maximale, envers celles et ceux qui touchent des salaires situés en-dessous de ce revenu limite.

LE DEUXIÈME PILIER. Pour le 2e pilier obligatoire, le premier principe social impose que les salaires annuels concernés ne doivent pas être trop élevés. Plus précisément, ils doivent être inférieurs à un certain plafond (actuellement, 86 040 francs annuels). Si un salaire annuel est plus élevé, seule sa partie inférieure à 86 040 francs fait partie du 2e pilier obligatoire. Le surplus relève alors du 2e pilier surobligatoire, où il est assurable jusqu’à un salaire annuel de 860 400 francs (!), mais à des conditions assez libres proposées par la caisse, et négociées avec l’assuré. Dans le 2e pilier surobligatoire, le taux de conversion est défini par la caisse; il est en général inférieur à celui appliqué dans le 2e pilier obligatoire.

LE TAUX DE CONVERSION… Le 2e pilier obligatoire prévoit aussi le principe social suivant: la fixation dans la loi du fait que, au moment de la retraite, toute rente doit représenter un pourcentage de l’avoir de vieillesse acquis par le ou la retraité-e qui soit supérieur à un certain taux. Fixé par la loi, ce dernier est appelé taux de conversion minimal. Ce principe social doit être respecté par toutes les caisses de retraites, car il permet d’éviter que, dans leur liberté de calcul des rentes, elles parviennent à des montants trop faibles par rapport aux cotisations perçues. Ce taux est actuellement de 6,8%.

… ET LE PROJET LPP 21. C’est le point névralgique de la modification de la loi sur la prévoyance professionnelle débattue actuellement au Parlement (LPP 21). Il touche uniquement le 2e pilier obligatoire, partie sociale du 2e pilier, et non le 2e pilier surobligatoire. Le Conseil fédéral propose un abaissement du taux de conversion minimal de 6,8% à 6% – ce qui a pour conséquence d’autoriser les caisses de retraites à pratiquer des baisses de rentes pouvant aller jusqu’à 11,6% (et même plus, si le taux pratiqué aujourd’hui par la caisse est supérieur à 6,8%!). Par deux fois déjà, en 2004 et en 2017, le Conseil fédéral avait soumis un tel abaissement du taux de conversion au vote populaire. Par deux fois, cette proposition avait été rejetée – par 72,7% des voix la première fois, par 52,7% la deuxième.
L’exécutif estime cependant que cet abaissement est une bonne solution-remède aux difficultés de financement du 2e pilier obligatoire, et même la seule. Appliquant une méthode qui lui est chère face à des refus répétés, il revient à la charge pour que le peuple accepte son dessein, même si c’est un peu par lassitude. D’autant plus que, aujourd’hui, le Conseil fédéral inclut dans son projet une compensation financière de ces baisses de rentes, proposée dans le «compromis» émanant des «partenaires sociaux» 5, le mal nommé «supplément» (!) de rente. Le Conseil fédéral affirme ainsi «maintenir le niveau des rentes». Mais à quel prix? Et par quels moyens? Nous y reviendrons dans un prochain article.

UNE QUESTION FONDAMENTALE. Il faut ici se poser une question de fond: cet abaissement du taux de conversion minimal, même assorti du compromis des partenaires sociaux, constitue-t-il vraiment une bonne solution-remède aux difficultés posées au 2e pilier obligatoire par l’une des deux causes de cette situation identifiées par les partenaire sociaux et le Conseil fédéral, à savoir la faiblesse actuelle des rendements des placements financiers? L’autre cause consistant en l’augmentation du nombre de personnes âgées, due à l’élévation de l’espérance de vie. Pour tenter de répondre à cette interrogation, il faut pousser plus loin l’analyse critique de la situation.

LE DOUBLE REFUS DU PEUPLE. En 2004, le peuple a refusé massivement l’abaissement du taux de conversion minimal proposé par le Conseil fédéral. Il s’agit d’un signal très fort, voulu et donné par le peuple, contre toute baisse des rentes. Ce résultat est aussi l’effet du choc social ressenti profondément par la population à l’annonce d’une telle nouvelle. Puis, de 2004 à 2017, une pression très forte a été faite par les autorités. Objectif: rendre impérativement nécessaire, et même «naturel», un tel abaissement du taux de conversion minimal, alors que cette mesure est contraire à sa «nature minimale». Il est donc assez remarquable d’avoir eu encore 52,7% de voix opposées à cet abaissement lors de la votation de 2017.

UNE FAIBLESSE QUI PEUT DURER. Il convient ici de s’intéresser à un texte officiel publié par l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) en 2017 6. Dans la partie informative de ce texte, un graphique montre les «vagues» formées par les variations des taux de rendement des placements de capitaux entre 1989 et 2016. Celles-ci comportent quatre «creux», dont deux très profonds, en 1990 et 2008. Le commentaire qui suit est grave: «La phase caractérisée par de faibles rendements devrait durer encore longtemps, même si le niveau des taux d’intérêt s’améliorait prochainement». Ainsi, les difficultés à répétition des rendements des placements financiers de nos caisses de retraites sont inquiétantes.
Les choses se passent un peu comme si, à l’avenir, les revenus de nos avoirs-vieillesse, et ces avoirs-vieillesse eux-mêmes, devaient avoir périodiquement une partie non négligeable qui «part en fumée» dans les aléas, boursiers notamment, de ces placements. ◼︎︎

(1) Première partie d’une analyse en deux volets.
(2) Services Publics, 7 mai 2021, p.10.
(3) Constitution fédérale, articles 112,2,b et 113,2,a.
(4) Services Publics, 9 mai 2020, p.9.
(5) Union syndicale suisse, Union patronale suisse, Travail.suisse: LPP21 – Le compromis des partenaires sociaux – Garantir les rentes, moderniser la LPP. Brochure.
(6) OFAS: La réforme prévoyance vieillesse 2020. Août 2017, p. 10.

Services publics, 3 septembre 2021, Gérard Heimberg, retraité SSP, Région Vaud

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