Genève est la ville suisse abritant le plus de sociétés de domicile, selon une enquête de l’ONG Public Eye rendue publique début octobre. Les autorités cantonales bottent en touche. Nombreuses seraient les sociétés offshore – aussi appelées sociétés boîtes aux lettre ou de domicile – établies au bout du lac.
D’après une enquête de Public Eye rendue publique la semaine passée dans le sillage des Pandora Papers, Genève serait même la ville suisse comptant le plus de ces firmes, devant Lugano, Zoug et Fribourg.
Nombreuses seraient les sociétés boîtes aux lettres – dont des offshore – établies au bout du lac. D’après une enquête de Public Eye rendue publique la semaine passée dans le sillage des Pandora Papers, Genève serait même la ville suisse comptant le plus de ces firmes, devant Lugano, Zoug et Fribourg – l’enquête n’inclut pas Zurich. L’existence de ces sociétés à l’activité peu substantielle se résume la plupart du temps à une adresse et des comptes en banques. A Genève, elles seraient plus de 13 500, soit près d’un tiers des entreprises inscrites au registre du commerce. Si leur existence n’est pas illégale en soi, ce type de montage est souvent pointé du doigt lorsqu’il est question de lutte contre la fraude ou le blanchiment d’argent.
Rien qu’une adresse
Société offshore, ce n’est pas un titre que l’on décline dans le registre du commerce. Pour remonter la trace et évaluer le nombre de ces entités, les enquêteurs et enquêtrices se sont basées sur des caractéristiques communes: comme elles n’ont pas d’activité à proprement parler en Suisse, ces sociétés n’ont généralement pas de bureaux propres, et un nombre d’employé·es extrêmement restreint. Il est donc possible de les identifier d’une part en repérant les adresses qui abritent de nombreuses entreprises, parfois domiciliées dans des fiduciaires ou des cabinets d’avocat·es. D’autre part en se référant au nombre d’employé·es, donnée comptabilisée par l’Office fédéral de la statistique mais qui, par souci de confidentialité, ne permet pas d’identifier nominativement une société mais uniquement de la localiser grâce à ses coordonnées géographiques. L’un dans l’autre, ces informations permettent d’identifier des concentrations de «coquilles vides» dans les rues genevoises.
Ainsi en est-il du 8, rue du Nant, aux Eaux-Vives, qui a lui seul abrite 136 sociétés. Ou encore du 18, rue de Genève où 51 entreprises sont domiciliées avec en moyenne 1,4 employé·e chacune. En prenant les choses par l’autre bout de la lorgnette, Public Eye a aussi remonté la trace des administrateurs et administratrices, parfois tentaculaire. Avec un record: 167 sociétés à Genève administrées par un seul individu. «Il est donc impossible que ces sociétés aient une véritable substance», conclut l’ONG.
Qui dit offshore ne dit pas illégal
«Les sociétés dépourvues de substance ne sont pas nécessairement vouées à des activités douteuses. Nous n’affirmons donc pas que toutes ces entités, ou les personnes qui profitent de leur création, fraudent le fisc dans leur pays ou commettent un crime financier», précise le rapport. Certaines sociétés s’installent en Suisse sous ce régime en vue de développer des activités futures et le temps de trouver leurs propres locaux. D’autres pourraient trouver des arrangements fiscaux intéressants en Suisse, l’optimisation fiscale n’étant pas elle-même illégale.
Mais le problème fondamental identifié par l’ONG réside dans la forte proportion de sociétés de domicile impliquées dans des dénonciations auprès du Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent de la Confédération (MROS). Elles apparaissent dans 44% de ces dénonciations émises le plus souvent par des banques, qui sont obligées par la loi contre le blanchiment d’argent (LBA) de relayer les soupçons de malversations. Une disposition qui ne s’étend pas aux conseils financiers, avocat·es ou fiscalistes: «Le lobby des avocats a réussi à s’extraire de la loi sur le blanchiment d’argent, que le Parlement a voulu renforcer après le scandale des Panama Papers. Ils se sont ménagé une niche réglementaire sous le régime de l’autorégulation», accuse Adrià Budry Carbó, membre de la cellule d’enquête de Public Eye.
De subtiles nuances existent: si l’avocat·e conseil n’est pas soumi·s à la LBA, «les avocats qui administrent des sociétés offshore [le sont], car cette activité ne relève pas de l’activité typique. C’est jugé et archi-jugé», affirme le conseiller national genevois Christian Lüscher, lui-même avocat. «Il n’y a jamais eu d’exemple où le traçage d’une activité illicite aurait été rendu impossible par le refus de communiquer d’un avocat», ajoute-t-il. En tout état de cause, il estime que le nombre de sociétés offshore est en diminution depuis que l’échange automatique d’informations bancaires est devenu la norme. «La place financière a fait sa révolution. Les banques suisses font bien leur travail et vérifient systématiquement qui est l’ayant droit économique des comptes qu’elles abritent et quelle est l’origine des fonds.»
Canton peu réactif
Un tiers de sociétés boîtes aux lettres à Genève, est-ce un problème pour le canton? Les autorités répondent «prendre acte du chiffre élevé de sociétés de domicile recensées à Genève», tout en relevant que «les questions juridiques soulevées par la cartographie de Public Eye relèvent du droit fédéral». Questionné plus précisément, le Département de l’économie et de l’emploi botte en touche, rappelant qu’il «intervient, par définition, auprès des entreprises exerçant déjà une activité économique ou souhaitant développer une nouvelle activité économique, dans un objectif notamment de création d’emplois.» Il renvoie vers le Département des finances, qui explique quant à lui ne pas être en mesure d’identifier les revenus fiscaux issus de ces sociétés dans la mesure où «les données relatives au nombre d’emplois dans les entreprises ne sont pas exploitées par l’administration fiscale cantonale», et que par ailleurs «l’absence d’emploi n’implique pas forcément une société ‘boîtes aux lettres’». Des contrôles approfondis peuvent néanmoins être réalisés «à la suite d’une annonce par les services de taxation ou dénonciation d’irrégularité». Enfin, le département se défend de proposer des conditions fiscales attrayantes pour ces entreprises: «Les conditions fiscales pour les entreprises ne sont pas forcément plus favorables à Genève. Le taux effectif d’imposition sur le bénéfice, qui est de l’ordre de 14%, est similaire à la moyenne suisse.»
Le Courrier, 14 octobre 2021, Maude Jaquet
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