«Pour une Suisse sans pauvreté»

Face à la précarité qui touche ou menace une personne sur six, Caritas demande une stratégie nationale.
Toujours plus de personnes peinent à joindre les deux bouts et les ­inégalités se sont encore accrues avec la crise sanitaire. Face à ce constat, Caritas lance un appel «pour une Suisse sans pauvreté» et demande une stratégie nationale avec des objectifs chiffrés.


L’organisation adresse six revendications qui touchent à l’emploi, la formation, l’accueil de jour, la santé, et le logement. Un groupe parlementaire pauvreté en Suisse est créé.

735 000: En 2019, le nombre de personnes touchées par la pauvreté en Suisse

Pour une partie de la population, la crise du coronavirus n’a fait que renforcer une situation déjà précaire. «De nombreuses personnes qui pouvaient tout juste ­financer leur existence se sont retrouvées dans une situation de détresse à cause d’une perte de revenus», souligne Aline Masé, responsable du service politique sociale à Caritas. Les chiffres étaient déjà alarmants avant la crise: environ 735 000 personnes étaient touchées par la pauvreté en 2019, et 600 000 autres se situaient juste au-dessus du minimum vital. «Une personne sur six en Suisse est soit touchée par la pauvreté, soit menacée de l’être. Et ce chiffre ne cesse d’augmenter», poursuit Aline Masé. En cause, des problèmes structurels qui doivent être réglés par une action politique, plaide l’organisation.

Poids des primes-maladie

Les bas salaires, le travail sur appel et les taux partiels imposés poussent des travailleurs dans la pauvreté, majoritairement des femmes. Certaines personnes sans emploi ne font pas valoir leurs droits aux prestations sociales, craignant des conséquences sur leur autorisation de séjour ou leur demande de naturalisation. Un faible niveau de formation est également un facteur de risque important. «Celles et ceux qui n’ont suivi que l’école obligatoire sont deux fois plus touchés par la pauvreté», relève Aline Masé. Les places d’accueil extrafamilial ne sont pas adaptées aux emplois les plus précaires, sur appel ou avec des horaires irréguliers.

«Celles et ceux qui n’ont suivi que l’école ­obligatoire sont deux fois plus touchés par la pauvreté» Aline Masé, responsable du service politique sociale à Caritas

Logement et primes d’assurance-maladie pèsent particulièrement lourd dans le budget des plus pauvres. A Genève, environ 8000 ménages, familles ou personnes seules sont sur liste d’attente pour obtenir un logement subventionné, illustre Sophie Buchs, directrice de l’antenne genevoise de Caritas. Quant aux primes d’assurance-maladie, elles représentent l’un des postes les plus importants d’endettement. Certains optent pour des franchises élevées et renoncent aux soins, faute de moyens pour parer aux dépenses imprévues. «La santé ne doit être ni un luxe, ni un facteur qui entraîne dans la spirale de la pauvreté», martèle Sophie Buchs.

Les demandes d’aide sociale sont restées stables avec la crise sanitaire, le chômage partiel et les allocations pertes de gain ayant bien fonctionné. «Mais plusieurs de ces mesures expireront l’année prochaine avec des conséquences incertaines», s’inquiète Marianne Hochuli, responsable du secteur études de l’organisation. Afin de définir une stratégie nationale, Caritas demande un monitoring systématique de la pauvreté dans tous les cantons, sur la base des données fiscales. Aujourd’hui, la moitié d’entre eux publient des rapports mais leurs indicateurs diffèrent. Les droits et les prestations varient fortement d’un canton à l’autre.

Autorités interpellées

Pour prévenir la pauvreté, ­Caritas plaide pour des emplois décents, qui couvrent le minimum vital. Concernant la formation, elle réclame des aides pour couvrir les frais de subsistance lors de formations continues et de reconversion. L’organisation veut aussi un développement rapide de la prise en charge extrafamiliale, à des prix raisonnables. Concernant la santé, la charge des primes d’assurance-maladie doit être réduite pour les ménages à faibles revenus et des soins de qualité doivent être garantis à toutes les bourses, affirme-t-elle. Elle demande également de développer des prestations complémentaires pour celles et ceux dont le revenu ne suffit pas à subvenir à leurs besoins et la mise à disposition de logements abordables.

Ses revendications s’adressent aux autorités fédérales, cantonales et au secteur privé. «Il est important d’interpeller tous les niveaux. Nous avons besoin d’un dialogue et d’une coordination entre les autorités fédérales et les gouvernements cantonaux. L’économie a aussi un rôle à jouer pour la cohésion sociale», défend Andreas Lustenberger, responsable politique et affaires publiques.

Le Courrier, 7 décembre 2021, Sophie Dupont

Un facteur aggravant de la pauvreté
6 décembre 2021, Philippe Bach

En mai 2020, des centaines de personnes ont fait la queue pendant des heures aux Vernets afin de recevoir de l’aide de première nécessité.

Les files d’attente de personnes attendant à Genève la distribution de cabas de biens de première nécessité au printemps 2020 avaient marqué les esprits. Dans une des villes les plus riches au monde, un nombre important de personnes ne parviennent pas à vivre dignement.

Une étude nationale présentée hier par Caritas vient rappeler cette accablante réalité: 735 000 personnes sont touchées par la pauvreté; 600 000 flirtent avec le minimum vital. Bref: une personne sur six en Suisse vit dans la pauvreté ou est menacée d’y tomber. Des situations dramatiques qui hypothèquent le présent mais aussi le futur de ces familles. Grandir dans le besoin rend difficile des projets de formation, gages de vie meilleure.

Des inégalités qui touchent encore davantage les étranger·ères qui sont invité·es à se faire discret·es et à ne pas réclamer les aides sociales auxquelles ils et elles auraient droit. Si on veut obtenir le passeport à croix blanche ou seulement conserver son permis de travail, il convient de faire preuve de son autonomie financière. Un précariat soigneusement entretenu.

Le plus rageant étant que les causes de ce mal-vivre sont connues: logements trop chers, primes d’assurance-maladie ruineuses, salaires trop bas. On pourrait y remédier sur le plan politique. Par exemple en imposant des minima en matière de rémunération. Mais cela heurte l’idée d’un marché libre et non faussé. Et il est tellement plus simple de stigmatiser des migrant·es accusé·es de profiter du système.

La crise du Covid n’a pas créé la pauvreté. Mais elle la révèle et l’aggrave. Il n’est pas tolérable que la richesse produite en quantité plus grande chaque année profite aux plus nantis et voit des pans entiers de la population rester sur le bord de la route. A terme, ce creusement des inégalités ne peut que mener vers la rupture du contrat social. Un problème aussi vieux que la démocratie.

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