Le 13 février, nous voterons sur la suppression du droit de timbre d’émission. Sébastien Guex, historien et spécialiste en finances publiques, décrypte les enjeux de ce rabais fiscal.
Le Conseil fédéral veut supprimer une partie des droits de timbre. Qui paie cet impôt?
Sébastien Guex – De manière générale, les droits de timbre sont des impôts sur les transactions financières qui touchent principalement ou uniquement les milieux capitalistes – les propriétaires de titres ou les banques qui effectuent ces transactions financières pour eux.
Ils figurent parmi les rares impôts qu’il est difficile pour les détenteurs de capitaux de transférer sur les épaules des salarié-e-s. Cela explique l’empressement des milieux d’affaires à les voir disparaître.
Le Conseil fédéral affirme que cette suppression favoriserait les PME…
En Suisse, à chaque fois que la droite prévoit un projet favorisant les riches et les grandes entreprises, elle le présente comme un cadeau aux PME. Il s’agit d’une escroquerie intellectuelle. Comme le souligne le Conseil fédéral lui-même, la moitié du montant total des recettes perçues par la Confédération sur le droit de timbre d’émission du capital propre provient d’une trentaine d’entreprises.
Les petites sociétés ne sont pas concernées, car elles ont quasiment toujours un capital inférieur à 1 million de francs – le plafond en-dessous duquel ce droit d’émission n’est pas perçu. Par ailleurs,les nouvelles ou les jeunes entreprises bénéficient déjà d’une série impression - nantie d’avantages fiscaux.
Le Conseil fédéral prévoit des baisses de recettes autour de 250 millions de francs par an. Que penser de ce chiffre?
Ce type d’estimations, réalisé à grand renfort d’hypothèses plus ou moins hasardeuses, doit être pris avec des pincettes. Le montant évoqué est probablement sous-évalué. Surtout, il faut comprendre que la suppression du droit de timbre d’émission est un premier pas vers le véritable objectif de la droite et du Conseil fédéral: l’abolition de l’ensemble des droits de timbre. Or cette mesure entraînerait des baisses de recettes de 2 milliards de francs par an, selon le Conseil fédéral lui-même!
Les partisans de cette mesure affirment qu’elle est indispensable pour préserver la «compétitivité fiscale» de la Suisse, au moment où l’OCDE a décidé de fixer à 15% le taux d’imposition des plus grandes entreprises…
La volonté de supprimer les droits de timbre est bien antérieure à la décision de l’OCDE de fixer un taux plancher de 15% – une mesure qui obligera en effet une majorité des cantons suisses à augmenter, très légèrement, le taux d’imposition prélevé sur les bénéfices des grandes sociétés.
Selon le contexte, des motifs très variés ont été invoqués pour justifier cette suppression. En 2008, l’ancien conseiller fédéral (PLR) Hans-Rudolf Merz la présentait comme une solution pour sauver la compétitivité de la place financière suisse face aux pressions de l’Union européenne sur le secret bancaire. Quinze ans auparavant, le patronat invoquait la crise économique des années 1991-1996 pour justifier la même mesure. Il y a quelques années, la droite hésitait à l’intégrer à la troisième révision de l’imposition des entreprises (RIE III), censée répondre à la suppression des statuts fiscaux spéciaux – avant d’y renoncer, par peur de trop «charger le bateau». Aujourd’hui, c’est le projet de l’OCDE de taxer les grandes entreprises à 15% qui est brandi comme prétexte…
Quel est alors le véritable enjeu de la suppression du droit de timbre?
Cette mesure s’inscrit dans un plan plus vaste visant à accroître encore la compétitivité du paradis fiscal suisse.
En 2019, l’acceptation de la Réforme fiscale et financement de l’AVS (RFFA) a permis de créer de nouvelles niches fiscales pour les grandes entreprises et de baisser les impôts cantonaux sur leurs bénéfices. Aujourd’hui, la droite veut imposer une nouvelle série de cadeaux fiscaux profitant aux actionnaires et aux milieux financiers. En juin, le Parlement a supprimé le droit de timbre d’émission sur le capital propre; en décembre, il a démantelé l’impôt anticipé – une autre taxe qui concerne essentiellement les riches et les banques, et dont la suppression facilitera la fraude fiscale. Demain, c’est l’ensemble des droits de timbre qui seront visés.
Ces mesures représentent un nouveau chapitre de la politique fiscale menée depuis des décennies par la droite et les milieux patronaux. Celle-ci vise un double objectif: d’une part, maintenir une imposition la plus basse possible pour les riches et les grandes entreprises; de l’autre, vider les caisses publiques en diminuant les recettes – ce qui permet de mettre sous pression les dépenses destinées aux assurances sociales, au service public, etc.
Cette politique des «caisses vides» est antisociale car elle empêche les collectivités publiques de faire face à des besoins sociaux en augmentation (en matière de santé publique, de lutte contre la pauvreté, d’éducation, de transition écologique, etc.). Elle est utilisée par la droite pour justifier des coupes ou restreindre au maximum les prestations destinées à la majorité de la population.
Il faut donc la combattre. En commençant par refuser la suppression du droit de timbre d’émission sur le capital propre. ◼︎︎
SSP, 21 janvier 2022, Guy Zurkinden
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