Les crèches et les parents dégustent

Pénurie de main-d’œuvre, absences, épuisement, fermetures: si le secteur de la petite enfance permet à l’économie de continuer à tourner, il paie un lourd tribut, au même titre que les parents. La pénurie de personnel et les mesures de protection ont un impact sur les activités proposées dans les crèches.


La vague omicron frappe de plein fouet les institutions genevoises de la petite enfance, où le personnel est sur les rotules. «Depuis début janvier, il y a une rafale de cas Covid parmi le personnel et les enfants», témoigne Gwenaëlle Chaillou, coprésidente de l’Association genevoise des éducateur·rices de l’enfance (Agede).

Face à un taux d’absentéisme hors norme, les remplaçantes et remplaçants manquent. «C’est compliqué d’en trouver, nous sommes à flux tendu», confirme à son tour le coprésident de l’association, Maurice Perrier, qui parle d’un «va-et-vient» d’employé·es dans les crèches. Pour les plus jeunes, dont les bébés, ces nouveaux visages, qui plus est masqués, sont perturbants, affirme-t-il.

Mais travailler avec des personnes qui débarquent dans une structure a des conséquences également sur le personnel fixe. «Les enfants ont l’habitude de voir défiler les adultes, mais certains refusent que le remplaçant qui s’occupe d’eux les couche ou les change et c’est donc à moi de le faire. Le travail est multiplié, la charge mentale décuplée», témoigne Amanda Ojalvo, éducatrice et conseillère municipale socialiste en Ville de Genève.

Épuisement des troupes

D’autant que dans bien des cas, ce sont des auxiliaires ou des assistant·es qui remplacent les éducateur·rices, et qui ne peuvent endosser les mêmes responsabilités au vu des normes d’encadrement, selon Karine Dachroune, coprésidente de l’Association des cadres des institutions de la petite enfance. Résultat, parmi celles et ceux qui ont échappé au virus ou sont guéri·es, certain·es finissent quand même en arrêt de travail en raison d’un épuisement, selon Mme Chaillou.

«Nous préférons fermer plutôt que de faire appel à des personnes sans expérience» Gwenaëlle Chaillou

D’ailleurs, «le bilan général, c’est l’épuisement des troupes, fatiguées moralement et se demandant quand cette crise se terminera», estime Mme Dachroune, adjointe de direction dans une structure à Lancy. Or si les crèches continuent globalement de tourner, c’est «grâce à la solidarité et la souplesse» du personnel, qui s’adapte sans cesse pour pallier les absences, salue la représentante des cadres.

Mais les directions ne sont pas en reste. «On ne compte plus nos heures, nous sommes sur le pont y compris les week-ends et les soirées pour nous assurer du respect des normes d’encadrement, trouver des remplaçants et faire face aux imprévus», témoigne Mme Dachroune. «Il s’agit également d’accompagner et de rassurer les parents, poursuit-elle. Beaucoup, par crainte de l’infection, ont retiré leur enfant plusieurs semaines, si bien qu’au retour, c’est comme une seconde rentrée, avec beaucoup de pleurs.»

La pénurie de personnel et les mesures de protection, en outre, ont un impact sur les activités. Moins de sorties, moins de moments pour les parents, réticence à sortir le jeu en bois qu’il faudra dûment désinfecter sans pouvoir le mettre en machine… «Les équipes font ce qu’elles peuvent, parfois cela revient plus à du gardiennage qu’à une prise en charge éducative, ce qui génère de la frustration», selon Mme Dachroune.

Horaires réduits

Autre conséquence: le manque de bras oblige des structures à réduire leurs horaires, voire à ne pas pouvoir accueillir une partie des enfants durant un ou plusieurs jours, voire, en dernier recours, carrément à fermer complètement. «Nous préférons ces solutions plutôt que de faire appel à des personnes sans expérience», commente Mme Chaillou. D’autant que cela permet aux équipes de recharger les batteries, ajoute-t-elle1.

Problème: les parents trinquent. Camille Gautier, maman d’un garçon de 2 ans, a vécu fermeture et restrictions des horaires. En ce moment, la crèche est ouverte de 9h à 17h au lieu de 7h à 19h. «Heureusement, mon mari et moi pouvons travailler à la maison et avons des employeurs compréhensifs. Mais les journées de travail sont courtes, nous déjeunons devant l’ordinateur et le rallumons une fois que notre fils est au lit. Ce n’est la faute de personne, à la crèche, tout le monde fait le maximum.»

Les parents sont compréhensifs, même s’il faut parfois essuyer de la mauvaise humeur, selon les témoignages que nous avons recueillis. En revanche, le stress est de mise, à en croire Mme Ojalvo: «Quand je dois en appeler en journée, ne serait-ce que pour une banale question administrative, c’est la panique. Ils pensent que je vais leur annoncer que leur enfant est positif, que la crèche va fermer ou qu’il doit être mis en quarantaine. Je comprends, télétravailler avec un bout de chou à la maison, c’est impossible!»

Pour Mme Dachroune, la pandémie a mis en exergue à quel point le secteur de la petite enfance est indispensable pour faire tourner l’économie, mais elle a aussi souligné le manque de moyens et de considération à son égard.

Un fort taux d’absentéisme

Combien de crèches fermées ou réduisant leurs horaires dans le canton? Quel taux d’absentéisme? Le Service d’autorisation et de surveillance de l’accueil de jour refuse de transmettre ses données, car elles ne sont ni complètes ni fiables, selon Pierre-Antoine Preti, porte-parole du Département de l’instruction publique, dont dépend le service. Selon lui, la situation reste globalement sous contrôle, mais peut être très compliquée selon les endroits.

«Le nombre d’enfants malades est plus élevé durant cette vague, ce qui tend à accréditer qu’omicron touche davantage les enfants.» Du côté de la Ville de Genève, la semaine du 17 au 21 janvier, 4 crèches sur les 77 institutions ont dû être fermées (7 groupes d’enfants étaient également fermés) et 17 ont réduit leurs horaires d’ouverture. Ceci correspond à un total de 229 professionnel·les malades (sur 1700 employé·es environ) et 154 enfants absents, communique Pascale Lecuyer-Gauthier, cheffe du Service de la petite enfance.

Nonante membres du personnel étaient aussi en quarantaine. Faute d’un pool de remplaçant·es et en raison du manque d’éducatrices et d’éducateurs diplômés à Genève, le personnel paie un lourd tribut, regrette-t-elle.
Lorsque les crèches ne peuvent pas ouvrir au moins dix heures par jour, la prestation n’est pas facturée aux familles. Celles en difficulté peuvent solliciter les crèches de dépannage, mais les places sont limitées et insuffisantes. RA

Notes
1.↑Mme Chaillou précise encore que l’Agede estime que les fermetures doivent être absolument évitées et qu’une limitation des horaires est seulement un moindre mal pouvant éviter le surmenage du personnel.

Le Courrier, 31 janvier 2022, Rachad Armanios

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