On la croyait enterrée, la voilà qui ressurgit.
Le 4 février, la commission de l’économie et des redevances du Conseil des États (CER-E) a exhumé l’initiative parlementaire «Konrad Graber», du nom de son auteur, un ancien conseiller aux États (PDC).
FLEXIBILITÉ MAXIMALE. Déposé en mars 2016, le texte vise à introduire «un régime de flexibilité partielle dans la loi sur le travail». Concrètement, il propose d’exempter une large partie des salarié-e-s (celles et ceux «qui exercent une fonction dirigeante et les spécialistes disposant d’une autonomie comparable») des (maigres) protections légales en matière de durée du travail, de travail de nuit et le dimanche. Le texte stipule aussi que «certaines branches économiques ou certaines catégories d’entreprises ou de travailleurs peuvent être libérées par voie d’ordonnance de l’obligation de ne pas
dépasser une durée maximum de travail hebdomadaire». Il suffirait désormais de respecter la limite maximale légale (45,
voire 50 heures par semaine) sur une moyenne annuelle.
LEVÉE DE BOUCLIERS. Le texte avait suscité une levée de boucliers. «Semaine de 67 heures, travail de nuit et du dimanche obligatoires: voilà ce qui pourrait pendre au nez des personnes qui ont le malheur d’être considérées comme étant des ‘travailleurs et travailleuses qui exercent une fonction dirigeante’ ou des ‘spécialistes’», dénonçait l’Union syndicale suisse (USS). Une large coalition associant les syndicats, la Société de médecine du travail, la Fédération des associations professionnelles du domaine de la santé, l’association faîtière des médecins assistants et l’Association des employés de banque était mise sur pied. Sous le nom d’Alliance contre le stress et le travail gratuit, elle annonçait le lancement d’un référendum en cas d’acceptation du projet par les Chambres.
MILLIERS DE SALARIÉS EXONÉRÉS. Sous pression, la commission du Conseil des États décidait, en février 2020, de suspendre ses travaux sur le texte et de renvoyer la balle aux «partenaires sociaux». Deux ans plus tard, alors que les discussions entre syndicats et employeurs continuent, la commission change son fusil d’épaule. Considérant désormais que l’objectif principal de l’initiative Graber, «qui est de prévoir une possibilité d’interrompre brièvement la durée de repos et de travailler volontairement le dimanche, ne peut pas être réalisé dans le cadre de l’actuel droit du travail», elle propose au Conseil des États d’établir dans la loi une liste de salariées et salariés auxquels les dispositions légales ne s’appliqueront plus. Le spectre proposé est assez flou. Il concerne «entre autres les travailleurs qui exercent une fonction de supérieur, disposent d’un salaire brut supérieur à 120000 francs, sont titulaires d’un diplôme sanctionnant une
formation supérieure et disposent d’une grande autonomie dans leur travail».
Cette exception serait limitée aux personnes travaillant «dans une entreprise qui fournit principalement des prestations
dans les domaines de la technologie de l’information, du conseil, de l’audit ou de la fiducie et qui ont approuvé par écrit la non-applicabilité de la loi sur le travail».
ATTAQUE CONTRE LA SANTÉ. L’USS dénonce une «attaque incroyable contre la santé des travailleuses et travailleurs». Selon la centrale syndicale, la proposition acceptée en commission va encore plus loin que l’initiative Graber. Formulée par le conseiller aux États (PLR) Ruedi Noser, la nouvelle formule vise à «réduire le plus possible le champ de protection de la loi sur le travail, notamment en ce qui concerne les dispositions relatives à la durée du travail et du repos, et donc tout particulièrement l’interdiction du travail de nuit et du dimanche». Avec, à la clé, des conséquences «désastreuses» pour la santé psychique des personnes concernées: burn-out, auto-exploitation et perte importante des contacts sociaux.
Pour l’USS, l’assaut contre la loi sur le travail ne fait que débuter: «L’offensive contre tous les autres salariés est sans
doute imminente, jusqu’à ce que le plus grand nombre possible puissent aussi être employés le dimanche et la nuit».
La balle est désormais dans le camp du Conseil fédéral, à laquelle la CER-E demande de prendre position sur ses nouvelles propositions avant de les soumettre au Conseil des États.
Sservices publics, VPOD, 11.2.2022
0 commentaire à “Le retour des 67 heures”