Argument de la raison

La menace nucléaire qui augmente avec la crise ukrainienne va pousser la Suisse à signer le traité d’interdiction des armes nucléaires, a déclaré jeudi à Genève Beatrice Fihn, la cheffe de la Campagne d’abolition de cet armement (ICAN). L’affirmation paraît risquée, tant la Suisse se montre timide sur le sujet. Mais la crise ukrainienne a quelque peu rebattu les cartes.

Rappelons que le Conseil fédéral traîne les pieds pour signer ce traité international entré en vigueur en janvier 2021. Cet accord interdit l’utilisation et la menace d’utilisation, le développement, la production, les essais, le stationnement et le stockage d’armes nucléaires. Un texte que la Confédération avait pourtant activement contribué à faire émerger. Mais c’était sous la houlette de la socialiste Micheline Calmy-Rey; aujourd’hui, son successeur, le PLR Ignazio Cassis, freine des quatre fers. Tout en s’asseyant sur un vote du parlement fédéral qui demande une telle ratification. Le Tessinois n’hésite pas à user et abuser d’arguments dilatoires: une adhésion à ce traité constituerait une rupture de la neutralité suisse. Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Suisse aborde ce concept avec davantage de souplesse.

La doctrine de Berne dit sa préférence au Traité de non-prolifération (TNP) entré en vigueur en 1970. Et pour cause, celui-ci a le soutien des pays dotés de l’arme nucléaire… On mesure ces jours-ci l’efficacité de cet accord, avec un Vladimir Poutine n’hésitant pas à brandir la menace du feu atomique. Et ce TNP n’a nullement freiné la constitution d’un arsenal nucléaire mettant en danger l’humanité. Les Etats-Unis ont ainsi relancé le développement des «mini-nukes», ces armes tactiques qui sont non seulement meurtrières mais aussi porteuses d’un risque d’emballement, via des ripostes croissantes, avec l’utilisation sur le terrain d’armes toujours plus puissantes et pouvant in fine conduire à l’apocalypse atomique une fois le tabou initial rompu.

En cela, le ton volontariste de l’ICAN est celui de la raison. Il s’inscrit dans un dilemme perçu dès la première utilisation de ces engins de destruction massive et dénoncé par un Albert Camus visionnaire. En 1945, après qu’une bombe atomique avait été larguée sur Hiroshima, il écrivait que «la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir dans un avenir plus ou moins proche entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques». Tout était déjà dit.

Le Courrier, 17 mars 2022, Philippe Bach

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