Le Conseil fédéral veut garantir l’approvisionnement en électricité. Celui-ci est en effet menacé. Par le marché: les prix ont pris l’ascenseur; et par la guerre en Ukraine. Si Vladimir Poutine ou l’Otan décide de couper le robinet à gaz, le marché de l’énergie deviendrait imprévisible. Et certains des gros fournisseurs se trouveraient confrontés à des problèmes de liquidités insurmontables.
Le Conseil fédéral veut à tout prix éviter un scénario catastrophe. Il a mis en consultation un plan de sauvetage doté de 10 milliards de francs et qui concernerait les entreprises «too big to fail». Ce processus s’est achevé mercredi. Les trois gros acteurs – Alpiq, Axpo et BKW – ruent dans les brancards. Avec des tonalités différentes. Globalement, ils dénoncent une ingérence de l’État et une violation de la sacro-sainte liberté économique. Et tant pis pour les risques. Ceux-ci sont pourtant bien réels. On se rappelle du black-out magistral en Californie en 2001, à la suite du processus de libéralisation du marché de l’électricité sur fond de magouilles financières.
L’accès à l’énergie ne devrait pas être laissé aux aléas du marché. Il s’agit au contraire d’un besoin de première nécessité qui devrait être régulé par l’État selon des règles relevant du bien commun. L’erreur a été de laisser s’imposer un processus de privatisation à partir des années nonante. Peu à peu, le contrôle que les pouvoirs publics exerçaient sur ce domaine leur a été retiré. Au nom de l’idéologie – la vague néolibérale était passée par là – et par souci d’euro-compatibilité. L’ouverture de ces marchés – tout comme ceux de La Poste ou du rail – était une exigence de la camarilla néolibérale faisant la loi à Bruxelles.
Le peuple suisse a même voté sur cette question. En septembre 2002, il a refusé la Loi sur le marché de l’électricité; qu’à cela ne tienne, en 2007, un copier-coller avec quelques susucres pour les milieux écologistes a abouti à la Loi sur l’approvisionnement en électricité (LApel). Qui n’est d’ailleurs toujours pas entièrement entrée en vigueur, tant son application s’est révélée périlleuse. (Acidus avait fait campagne contre la LApel en 2007, sans arriver à convaincre les partis de s’y opposer, cf article “Assemblée générale 2008 : rapports des groupes de travail”, catégorie : Energies)
On mesure aujourd’hui les limites de cette dévotion aux marchés. La guerre en Ukraine montre à quel point il est important pour l’État de garder la main sur ces domaines stratégiques. La crise climatique implique par ailleurs des réorientations fondamentales des priorités industrielles et économiques qui ne peuvent pas être laissées aux aléas de la spéculation. Osons un gros mot: ce dont on a besoin, c’est bien d’une planification. L’État doit assumer ses tâches régaliennes.
Le plan de sauvetage du Conseil fédéral, pour nécessaire qu’il soit, n’agit pas à la racine du problème.
Le Courrier, 5 mai 2022, Philippe Bach
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