L’automne prochain, le peuple se prononcera sur une révision de l’AVS adoptée en 2021 par le parlement et combattue par référendum. Analyse des enjeux d’une réforme, qui veut nous faire travailler plus pour gagner moins.
Le but annoncé de cette réforme est de garder un équilibre financier de l’assurance et de maintenir le niveau des prestations de l’AVS. Dans les grandes lignes, le projet souhaite augmenter l’âge de retraite des femmes en l’harmonisant avec celui des hommes à 65 ans, tout en proposant des mesures de compensation pendant une période transitoire de 9 ans.
Cerise sur le gâteau : un petit financement additionnel avec une hausse illimitée dans le temps de 0.4 % de la TVA, alors que le taux de cotisation de l’AVS a déjà augmenté de 0.3 % au 1er janvier 2020.
Ce projet de révision de l’AVS est le premier pas vers un démantèlement des assurances sociales, avec à la clé des tentatives de préparer le terrain pour une retraite pour tous à l’âge de 67 ans ou plus.
Est-ce urgent?
En même temps, l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) a publié les perspectives financières de l’AVS pour les années 2022 à 2032 ainsi qu’un rapport sur les scénarios démographiques. Dans ses prévisions, le rapport conclut que « malgré l’adaptation des hypothèses relatives à l’espérance de vie, à la migration, à l’activité lucrative et à l’harmonisation des valeurs démographiques avec les valeurs observées, les conséquences sur les perspectives financières de l’AVS sont négligeables. Les nouveaux scénarios ne remettent notamment pas en question les prévisions relatives à l’équilibre financier des assurances ». Selon les chiffres de 2020 et après une année réjouissante sur les marchés boursiers, le résultat d’exploitation s’élevait à 1.9 milliards de francs et la fortune de l’AVS à 47.2 milliards de francs, ce qui correspond à 102.6 % des dépenses d’une année. Sans adopter cette réforme, la fortune de l’AVS, en 2030, serait de 36.5 milliards de francs alors qu’avec la réforme celle-ci augmenterait à 49.9 milliards de francs
L’égalité salariale sous la loupe
Bien que le principe constitutionnel exige que les hommes et les femmes perçoivent une rémunération égale pour un travail égal, le rapport de l’Office fédéral de la statistique, datant de 2018, relève que d’importantes différences subsistent toujours et que l’écart se monte encore à près de 19 %. C’est presque 1/5e du revenu qui n’est pas soumis à cotisation durant la vie active, alors que les rentes sont, comme chacun le sait, plafonnées. Et 11 % des femmes doivent demander des prestations complémentaires pour boucler leur fin de mois.
Le scandale de la Banque nationale Suisse
La loi sur la Banque nationale (LBN) prévoit qu’une fois les réserves monétaires constituées, la part du bénéfice qui dépasse le dividende revient pour un tiers à la Confédération et pour deux tiers aux Cantons.
Pour l’année 2021, c’est un juteux bénéfice net de 26 milliards de francs qui est annoncé, et ainsi 6 milliards (seulement) redistribués. Au-delà du bénéfice annuel de l’institution, la question du financement des institutions (dont l’AVS) par la BNS peut se poser, même si des voix s’élèvent contre, prétextant une perte d’indépendance face au sacro-saint néolibéralisme et à l’orthodoxie budgétaire. La BNS, c’est un bilan qui approche le cap des 1000 milliards de francs (près de 1.5 fois le produit intérieur brut !) et, accessoirement, un portefeuille qui favorise le réchauffement climatique. Dans les faits, la BNS a « imprimé » des francs suisses pour les revendre immédiatement contre des devises étrangères, qu’elle a ensuite placées dans des instruments financiers. Et son portefeuille en actions n’est pratiquement constitué que d’actions américaines, dont les GAFAM et aussi de compagnies pétrolières comme Exxon Mobil ou Chevron.
Par ailleurs, en achetant des devises contre des francs suisses, afin de stabiliser autant que faire se peut la monnaie nationale, la BNS a réalisé d’importantes pertes de change. Instauré en 2011, le taux plancher EUR/CHF était un taux de change minimum entre les deux monnaies et fixé à 1 Euro/1.20 franc suisse. Pendant 3 ans et demi et jusqu’à l’abandon du taux plancher le 15 janvier 2015, la BNS a massivement acheté des euros afin de soutenir sa monnaie. Ce fut la politique d’un David pensant qu’avec la monnaie de 8 millions d’habitants, il pourrait battre un Goliath fort d’une devise commune à 450 millions d’habitants… Le 15 janvier 2015, le taux EURO/CHF a chuté de 15 % et le SMI a clôturé à -8.67 %. Aujourd’hui, le taux reste à la parité et les achats effectués par la BNS lorsque le taux était supérieur sont à passer par pertes et profits.
Les avoirs placés en marché monétaire et obligataire ont fondu, cannibalisés par les intérêts négatifs
Historiquement, cette institution n’a pas toujours brillé pour sa clairvoyance, on en veut pour preuve le programme de vente de 1500 tonnes d’or jusqu’en 2005. Avec un prix de vente en moyenne de 18’451 francs suisses le kilo à l’époque de la vente et un prix du jour à près de 58’000.-/kg, c’est environ 60 milliards que la Suisse n’a pas encaissés. Envolés ! Certes, on est toujours plus intelligent après, mais les quelque 21 milliards qu’a rapportés cette opération avaient, à l’époque, excité les politiciens les plus réfractaires.
Autre scandale : depuis 2015, la BNS a introduit les taux d’intérêt négatifs (-0.75 %), toujours pour contrer une appréciation excessive du franc suisse. Le but était de décourager les établissements bancaires et autres investisseurs à placer leurs liquidités auprès de la Banque nationale suisse. Cette mesure a profité aux entreprises exportatrices et au secteur du tourisme en maintenant un franc suisse plus faible et aussi aux entreprises suisses, qui ont pu emprunter avec un taux de référence bas. L’État en a également profité en réduisant son endettement et en payant moins d’intérêts. Tout le secteur immobilier en a aussi tiré des bénéfices étant donné que les taux hypothécaires ont chuté à un niveau sans précédent. Alors que ceux-ci oscillaient historiquement entre 3 % et 7 %, ils se sont retrouvés en dessous de 1 %, avec comme corollaire une augmentation de la valeur des biens, mais pas de baisse significative des loyers. Les banques et autres établissements financiers ont également payé un lourd tribut, en versant à la BNS près de deux milliards de francs, montant répercuté dans certaines conditions sur les comptes des clients. La faiblesse des taux a également été très pénalisante pour tous les épargnants, le peu d’intérêts versés compensant à peine les frais de gestion des comptes.
Le vrai scandale, c’est que les caisses de pension et l’AVS, c’est-à-dire notre argent, en ont également fait les frais.
Outre la baisse du taux de conversion, les avoirs placés en marché monétaire et obligataire ont fondu, cannibalisés par les intérêts négatifs.
Selon une interpellation parlementaire de 2018, le montant total (après 3 ans) se fixait à plus de 5 milliards ; on peut sans doute l’estimer à plus de 10 milliards jusqu’en 2022. L’avis du Conseil fédéral est que, de toute façon, le bénéfice annuel est déjà distribué à la Confédération et aux cantons, mais c’est un raisonnement fallacieux parce l’argent ne retourne pas exactement où il a été pris et en tout cas pas en totalité.
Pas de concession
Au regard de la situation actuelle, soit après 2 années de pandémie, avec une guerre aux portes de l’Europe, une croissance en berne et une inflation à venir, les instances politiques devraient certes veiller au bon ordre des institutions, mais aussi travailler à rétablir la justice sociale, à savoir d’abord redonner l’argent à qui il appartient, avant de vouloir mettre en œuvre des politiques financées par la classe travailleuse.
Voix populaire n° 3, Patrick Savioli
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