L’AVS au pays du gouffre financier qui n’existe pas…

Pour nous faire gober l’élévation de l’âge de la retraite, la droite et le patronat décrivent une AVS au bord du précipice financier. Pourtant, un très léger rééquilibrage de la répartition des richesses permettrait de garantir la pérennité – et de renforcer – la principale assurance sociale du pays.

La droite et le patronat suisses sont champions du monde du pilonnage. Lorsque leurs intérêts sont en jeu, ils ne se lassent pas d’asséner les mêmes arguments pour imposer leur point de vue.
Les retraites, et l’AVS en particulier, sont un cas d’école. Depuis trois décennies, ces milieux veulent enfoncer dans la tête de la population trois croyances:
1) l’AVS court à la catastrophe financière;
2) cela serait la conséquence de l’augmentation de l’espérance de vie;
3) il serait donc «inévitable» et «normal» de travailler plus longtemps et d’augmenter l’âge de la retraite.
En septembre prochain, une augmentation de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans sera à nouveau soumise au vote. La droite ne fait pas mystère qu’il s’agit pour elle de faire sauter le dernier verrou avant une hausse généralisée de l’âge de la retraite – à 66 ans d’abord, puis 67, 68 voire 69 ans. Pour la battre, il faut mettre à jour la signification de l’argumentaire bourgeois.

PLUS C’EST GROS, PLUS ÇA MARCHE. «Malgré la réforme, l’AVS a encore un trou financier de 650 milliards de francs», titre la Neue Zürcher Zeitung (NZZ) (1). Boum!
Le trou serait même de 900 milliards de francs, si la hausse de l’âge de la retraite des femmes – ladite «réforme» – est refusée en septembre. Boum! Il ne resterait plus qu’à lever le drapeau blanc…
La source de ce chiffre est une «étude» publiée par la banque UBS, présentée comme le fruit de la collaboration entre le Centre de recherche sur les contrats entre générations de l’Université de Fribourg-en-Brisgau (Allemagne) et des économistes d’UBS. Comment en arrivent-ils à cette somme de presque 1000 milliards de francs? Celle-ci est censée représenter la différence entre la somme des cotisations que la population vivant en Suisse en 2019 devrait verser à l’AVS au cours de sa vie, déduite de la somme des rentes que cette même population recevrait de l’AVS. Il s’agit par conséquent d’un calcul portant sur une période d’environ 100 ans, avec une fiabilité garantie UBS made . Il est par ailleurs postulé que le niveau de financement de l’AVS ne change pas. Ce qui semble évident, sur une période de cent ans. Pour bien faire peur, l’étude rapporte ensuite cette somme, résultant d’un cumul sur un siècle , à la richesse produite durant une année : 125,7% du produit intérieur brut (PIB). Évidemment, si l’on rapportait cette somme à la richesse produite en 100 ans on arriverait à des valeurs autour de 1% du PIB, ce qui est moins efficace pour effrayer le bon citoyen…

QUELLES RESSOURCES POUR L’AVS? Laissons donc de côté ce film d’horreur à deux sous, pour se demander ce qu’il en est de la pérennité financière de l’AVS. L’Union syndicale suisse (USS) a déjà montré qu’il existe des ressources pour garantir ces prochaines années le financement de cette assurance sociale, avec les réserves de la Banque nationale suisse (BNS). Certains objectent à cette proposition – pertinente! – que cela ne serait pas une solution pérenne. Jetons donc un coup d’œil à quelques proportions fondamentales et durables.
Selon les «Perspectives financières de l’AVS» 2 publiées par l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS, 10 janvier 2022), les comptes de l’AVS présenteraient en 2032 un résultat d’exploitation de -5,6 milliards de francs – dans l’hypothèse du refus de l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes. Le plus souvent, les prévisions de l’OFAS se sont révélées (beaucoup) trop pessimistes. Prenons néanmoins ce chiffre pour argent comptant et regardons ce qu’il représente.

T’AS PAS TRENTE BALLES? Selon les comptes de l’AVS, les cotisations salariales ont rapporté 34,1 milliards de francs en 2020 (3). Le taux de cotisation était de 8,7%, correspondant à 4,35% prélevés sur les salaires et 4,35% de «part patronale». Cela signifie que 1% de cotisation salariale représente une rentrée de 3,9 milliards de francs.
Supposons que la masse salariale augmente entre 2020 et 2032 au même rythme qu’elle l’a fait en moyenne entre 2010 et 2020, de 1,8% par an: dans ce cas, une hausse des cotisations salariales de 1,2% (0,6% sur les salaires et 0,6% de part patronale) suffirait pour combler le déficit annoncé de l’AVS (4). Pour une personne gagnant 5000 francs par mois, cela représenterait 30 francs par mois; 60 francs pour une personne gagnant 10 000 francs.
Avec de tels chiffres, il est difficile de prétendre que les finances de l’AVS sont au bord du gouffre… Même à un horizon plus lointain, type 2050, une hausse supplémentaire de 1% ou 2% de cotisation salariale ne poserait aucun problème.

Opposer les générations est une tromperie visant à dissimuler le vrai conflit

SSP, Benoît Blanc, Services publics, 20 mai 2022

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