Taxer les caisses automatiques?

Le parlement genevois se prononcera cette semaine sur un projet de loi socialiste visant à taxer les caisses automatiques dans les magasins. L’objectif affiché est de sauver des emplois parce que la présence des caisses automatiques est bien à mettre en lien avec la diminution des emplois dans le secteur, selon la CGAS.

La quatrième révolution industrielle, ou le remplacement par des robots de tâches effectuées jusqu’ici par des hommes et des femmes, est au menu du Grand Conseil genevois, en fin de semaine. Le parlement débattra d’un projet de loi socialiste touchant au commerce de détail. Déposé en 2017, au moment où les caisses automatiques se multipliaient dans les supermarchés, il met en lumière un des aspects liés à l’automatisation, à savoir la perte et la transformation des emplois, en l’occurrence du métier de caissier et caissière vers celui d’agent·es de contrôle d’une clientèle invitée à scanner elle-même ses achats.

Le texte prévoit de taxer à hauteur de 10’000 francs par mois chaque caisse automatique, soit l’équivalent d’un peu plus de deux salaires à plein-temps. Les fonds récoltés seraient gérés par une fondation de droit privé chargée de financer les commerces n’utilisant pas de caisses automatiques, ainsi que des programmes de reconversion professionnelle.

Préserver les relations humaines

Pour Roger Deneys, auteur du projet de loi, il s’agit de préserver l’emploi, mais aussi de stimuler un commerce de qualité et de proximité, basé sur des relations humaines. «Les caisses automatiques ont été installées sans que ni les clients ni les collaborateurs ne soient jamais consultés. Il y a clairement une détérioration de l’accueil des clients dans ces magasins avec des files d’attente aux seules caisses restant ouvertes», dénonce l’ancien député PS. Il pense aussi aux personnes âgées pour qui le contact à la caisse est parfois le seul dans la journée. Quant au montant de la taxe, il a été choisi suffisamment élevé «pour qu’un gérant hésite avant de supprimer un emploi».

En commission de l’économie, il ne s’est trouvé personne, ou presque, pour défendre le projet de loi. Interrogé, Xavier Oberson, professeur de droit fiscal, estime certes que cette taxe devrait être intégrée dans un système fiscal revu de manière globale. Il serait envisageable dans un premier temps de taxer l’usage des robots et dans un deuxième temps le robot en tant que tel, comme une personne morale, explique-t-il. Mais dans ce cas précis, il appelle de ses vœux une législation européenne, voire internationale.

Du côté des associations patronales, le coût de la mesure est jugé disproportionné. Elles évoquent une distorsion de concurrence avec la France voisine et le commerce en ligne. Les représentant·es de Migros et Coop assurent n’avoir procédé à aucun licenciement depuis l’introduction des caisses automatiques: «Le fait que les effectifs soient en recul est dû à la diminution du chiffre d’affaires, auquel la masse salariale est liée en proportion.»

L’unanimité contre lui

Même la Fédération des consommateurs craint que le prix de la taxe ne soit répercuté sur la clientèle. Elle estime au contraire que celle-ci devrait bénéficier d’un rabais puisqu’elle effectue une partie du travail elle-même. «Aucun emploi supplémentaire ne sera créé et cela mettra le secteur du commerce de détail encore plus sous pression par rapport aux achats par internet», résume le PLR Serge Hiltpold dans un rapport expéditif. Il y évoque en passant l’«état d’esprit dogmatique» du premier signataire du projet de loi. Ambiance.

La CGAS relève une «bonne intention» qui «rate sa cible», voire «participerait à la perte de compétitivité du secteur et donc, in fine, à la destruction de postes». La présence des caisses automatiques est bien à mettre en lien avec la diminution des emplois dans le secteur, selon la faitière syndicale. Cependant, elle s’oppose à l’utilisation de la taxe telle que prévue par le projet de loi. D’autant qu’il n’y a aucune possibilité conventionnelle pour les salarié·es de bénéficier de formation continue. Et de suggérer d’autres pistes de réflexion pour le produit de la taxe, notamment une baisse du temps de travail sans réduction de salaire.

Roger Deneys défend-il à tout prix des emplois considérés par d’aucuns comme aliénants? «Quand ces caisses ont été installées, les autorités n’ont pas bronché. Des années après, toujours rien. Ce n’est pas l’idéal, mais quelle alternative propose-t-on à ces salariés, souvent des femmes à temps partiel avec des charges de famille?»

En commission, le texte a été rejeté par 6 voix (la droite) contre 5 (la gauche) et 3 abstentions (le MCG). A voir si le même sort lui sera réservé en plénière. Au-delà des maladresses du texte, l’enjeu de société sous-jacent est bien réel.

Le Courrier, 31 mai 2022, Christiane Pasteur

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