Alors qu’on s’attend à des hausses de primes maladie de 10 % pour 2023, péjorant le pouvoir d’achat des classes populaires, le Parlement discutait en juin d’initiatives comme celle du Parti socialiste, qui veut plafonner les primes à 10 % du revenu. Entretien avec Bernard Borel sur les enjeux du système de santé. Entre fatigue des soignants et hausse des primes pour les assurés, l’assurance maladie tire la langue.
Entretien
Après une année de répit et alors que l’inflation augmente, les primes d’assurance maladie pourraient s’envoler cet automne. Ce système de financement de la santé est-il encore tenable ?
Bernard Borel : Si l’augmentation des primes atteint un nombre à deux chiffres, cela démontrera que le système de financement, à cause des rapports de force entre lobbys, fait surtout porter les coûts de la santé sur les assurés, ce qui n’était pas prévu originellement. Ces dernières années, on a constaté par exemple une augmentation des traitements ambulatoires à la charge des assurés au détriment des soins stationnaires, qui sont remboursés à 55 % par les Cantons 45 % par les primes. Dans le même temps, la quote-part à la charge des assurés, de même que la participation aux frais hospitaliers, ont aussi augmenté. On paie plus pour avoir moins. Ceci dit, il serait difficilement compréhensible – pour ne pas dire scandaleux – que les primes augmentent de 8 à 10 % en 2023, alors que les coûts de la santé, comme le confirme la faîtière des caisses maladie Santésuisse, n’ont progressé que de 5,2 % en 2021.
Pour finir, il faut reparler du montant des réserves des caisses. Celles-ci se montent à 12,4 milliards (encore plus qu’à la fin 2020) et elles n’ont redistribué que 1,5 milliards en 2021 ! Alors que cet argent appartient aux assurés. Durant la dernière année, les placements des réserves de caisses sur les marchés financiers ont été au beau fixe. En annonçant une hausse des primes, les caisses veulent surtout faire pression sur les Chambres pour maintenir leurs réserves à un haut niveau au-delà des exigences légales, et limer sur les prestations remboursées par l’assurance de base. Le Conseil national l’a-t-il compris, lui qui vient d’insister pour que ces réserves baissent ?
Le Conseil fédéral planche sur une refonte du système de tarification Tarmed, instauré en 2004. Et un projet nommé Tardoc de facturation de toutes les prestations médicales fournies dans les cabinets médicaux et dans le secteur hospitalier ambulatoire est en discussion. Que faut-il en attendre ?
La tarification Tarmed n’est plus à la page. Ancien ministre de la santé du Canton de Vaud, Pierre-Yves Maillard avait montré que l’opération de la cataracte, qui est un acte médical bénéfique pour la qualité de vie des patients, ne se faisait plus en 1h30, mais en 15 minutes avec les nouvelles technologies. Ce qui veut dire que les médecins peuvent traiter aujourd’hui six cas dans le même laps de temps que précédemment et augmenter leurs profits, le tarif étant toujours le même. Le Tardoc va dans le bon sens certes, mais il ne respecte pas la neutralité des coûts, si bien que le Conseil fédéral vient de le refuser encore, mettant en avant certaines prestations trop chères.
Il faut un accord, mais rien n’est joué et les lobbys des uns et des autres se moquent de la solidarité que devrait représenter une assurance et chacun défend ses intérêts propres.
Le Parlement a rejeté l’initiative du Centre pour « un frein aux coûts », préconisant que lorsque la hausse des coûts moyens par assuré et par année dans l’assurance obligatoire des soins est supérieure de plus d’un cinquième à l’évolution des salaires nominaux, la Confédération et les cantons agissent pour les baisser. Que pensez-vous de cette initiative ?
Il est clair que le système actuel de primes est trop cher pour les assurés. Il le sera encore plus avec le vieillissement de la population, mais le projet du Centre consiste à réduire les coûts en rationnant les soins. Car l’initiative ne veut pas d’augmentation de primes au delà du renchérissement global de la vie. Or, les primes d’assurance ne sont pas le reflet de l’augmentation des coûts de santé, comme on l’a vu précédemment, mais sont le reflet de choix politiques. Ce projet du Centre peut réjouir les assureurs, qui pourront facturer en assurances privées les traitements dont le remboursement ne sera plus payé par l’assurance de base, en instaurant une inégalité de traitement. Comment s’étonner que cette initiative soit défendue par le conseiller national valaisan, Benjamin Roduit, proche du Groupe Mutuel ? Face à cette proposition, le contre-projet du gouvernement, qui cherche, entre autres, à mettre des gardes-fous contre l’augmentation du prix des médicaments va dans le bon sens.
Le Conseil national a refusé l’initiative des socialistes pour que les primes maladie ne dépassent pas les 10 % du revenu, ce qui existe déjà dans le canton de Vaud, qu’est-ce que vous en attendez ?
Il serait important que cette initiative soit étendue à l’ensemble de la Suisse et que cette limite des primes soit instaurée sur les 10 % du revenu disponible, après paiement du loyer, des impôts et de l’assurance maladie. Pour y arriver, il est prévu que cette réduction de recette soit financée aux 2/3 par la Confédération et pour 1/3 restant par les Cantons. Il en resultera un financement partiel par l’impôt, qui est progressif, touchant en premier lieu les gros revenus et rétablissant ainsi un peu de justice sociale.
Les Chambres ont précédemment refusé une proposition du Canton de Neuchâtel (défendue aussi par les Cantons de Vaud et de Genève) pour que la Confédération permette l’instauration d’une caisse publique unique dans les cantons. Comment relancer une campagne sur le thème ?
Le peuple a déjà rejeté par trois fois le principe d’une caisse unique publique et la probabilité d’un échec dans les urnes reste forte. Mais je continue à penser que c’est la meilleure solution, si elle inclut aussi des primes proportionnelles au revenu. Elle sera bénéfique pour 90 % de la population. Rappelons qu’en cas de surendettement, certains ménages ajournent le paiement de leurs primes et ne sont formellement plus assurés, ce qui les fragilise encore.
Je signalerai cependant un récent pas positif. Après avoir refusé la proposition neuchâteloise, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national a proposé fin mai 2022 un contre-projet à l’initiative du PS, accepté cette session par le CN. Celui-ci stipule que les cantons devaient consacrer un montant total minimal aux réductions de primes. Cela renforcerait l’équité en Suisse. Il n’est pas normal que certains cantons comme celui d’Argovie, refusent de recourir aux subventions fédérales pour éviter d’assumer leur quote-part cantonale.
Bien entendu, il serait préférable que l’initiative PS passe le cap, mais le contre-projet fait déjà un petit pas dans le bon sens. Dans la cas d’un refus de l’initiative, l’on pourrait effectivement dire que le financement du système de santé est caduque, parce qu’il perdrait sa vocation première qui est d’instaurer la solidarité entre les malades et les valides et un accès aux soins pour tous. On devrait alors envisager de relancer l’idée d’une caisse publique nationale !
Les cantons et la gauche ont souvent mis en avant le manque de transparence du système, notamment en ce qui concerne les comptes des caisses. Qu’en pensez-vous ?
Lors de la dernière votation sur la caisse unique en 2014, Alain Berset avait dit qu’il fallait une comptabilité différenciée entre assurance de base et assurance privée. Sa proposition de Loi sur la surveillance de l’assurance-maladie (LSAMal) avait été par la suite balayée par le Parlement. L’absence de droit de regard sur les comptes des caisses, qui fait que l’Office fédérale de la santé publique (OFSP) surveille de façon distraite leurs chiffres est scandaleux…et les gens assistent avec angoisse à l’augmentation des primes, sans que presque aucun contrôle démocratique ne s’exerce !
Propos recueillis par Joël Depommier, Voix populaire n° 5, 13 juillet 2022
Géraldine Freeman
Rte de Jussy 98c
1226 Thônex
geraldine.nina@live.fr
A l’attention de M. Joël Depommier et de M. Andrea Eggli
Thônex, le 16 août 2022
Concerne : «Les assurés, victimes d’un système inadéquat»
Messieurs,
J’ai lu attentivement l’interview que vous avez consacré au Dr Bernard Borel dans le numéro de juillet-août 2022 de Voix Populaire et qui a été repris dans Acidus.
A ce propos, je souhaite réagir à l’affirmation du Dr Borel selon laquelle «l’opération de la cataracte (…) ne se faisait plus en 1h30, mais en 15 minutes avec les nouvelles technologies».
Cette citation, attribuée à M. Pierre-Yves Maillard et allègrement reprise par M. Alain Berset afin de justifier une diminution drastique des honoraires des chirurgiens ophtalmiques pour l’opération de la cataracte, constitue malheureusement une simplification outrancière de tout ce qui se cache derrière cet acte médical devenu banal aux yeux du grand public, acte mal vulgarisé (M. Berset, ministre de la santé, s’est complètement ridiculisé aux yeux des ophtalmologues en affirmant haut et fort qu’on opérait la cataracte au laser !) et couramment cité par les politiciens et la presse comme exemple des abus de tarification contribuant à l’augmentation des primes d’assurance-maladie.
En effet, le fait de ramener la complexité d’un acte chirurgical au temps nécessaire pour l’accomplir est aussi aberrant que de prétendre que le pilote de l’Overture, le tout nouvel avion supersonique, devra être payé la moitié de celui d’un Boeing, vu que le temps de vol supersonique sera de moitié inférieur à celui d’un vol conventionnel, ce sans tenir compte de la formation et de l’entraînement spécifique du pilote du ni de la difficulté supplémentaire de piloter un engin de ce type. Ou encore, d’affirmer qu’un joueur de tennis vainqueur d’un tournoi du Grand-Chelem après un match palpitant de 3 heures ne devrait pas être rémunéré en fonction de son expertise, de ses compétences et des années d’entraînement intensif qui lui ont permis d’arracher cette victoire, mais être payé au même tarif horaire qu’un moniteur de tennis. Allez expliquer cela à Roger Federer !
Ainsi, le fait qu’une cataracte puisse être opérée plus rapidement qu’autrefois ne signifie en rien que l’opération soit devenue plus aisée ou que la formation des ophtalmo-chirurgiens en ait été simplifiée. Au contraire, la courbe d’apprentissage s’est allongée et complexifiée depuis l’apparition des nouvelles technologies «rapides», comme la phacoémulsification.
Voici quelques faits sur la profession d’ophtalmo-chirurgien.
En Suisse, pour devenir ophtalmo-chirurgien, il faut à l’heure actuelle un bac 13, soit :
- 6 ans d’études de médecine
- 5 ans de spécialisation en ophtalmologie (dont une année dans une autre discipline médicale)
- la réussite de l’examen de l’European Board of Ophtalmology (CHF 3000.- pour l’inscription et CHF 4000.- juste pour délivrer le diplôme d’ophtalmologue)
- 2 ans de formation spécifique en ophtalmo-chirurgie, avec un nombre minimum de cas à opérer en fonction d’un catalogue opératoire précis, ce qui rend généralement la formation en deux ans pratiquement impossible en Suisse, étant donné qu’il n’y a pas assez de cas de chaque type de pathologie dans la population locale pour former tous les candidats à ce diplôme
- la réussite d’un examen d’ophtalmo-chirurgie (frais d’inscription : CHF 3000.- ; prix du diplôme : CHF 4000.-).
Ainsi donc, rien que le prix de revient des diplômes obligatoires pour exercer en d’ophtalmo-chirurgie s’élève à CHF 14’000.-. Ce montant est d’autant plus exorbitant que, la plupart du temps, en fonction des cantons, les médecins internes en formation travaillent jour et nuit, week-ends compris, pour un salaire global souvent inférieur à celui d’un instituteur. Aux HUG, par exemple, l’heure supplémentaire de travail de nuit dans le cadre d’un «piquet» (terme employé par la hiérarchie pour éviter de payer le tarif correspondant à l’heure de «garde», plus onéreux), était rémunérée à CHF 7,50 il y a quatre mois. Oui, vous avez bien lu : CHF 7,50 pour qu’un médecin diplômé vienne en pleine nuit, sur appel, depuis son domicile, soigner un patient aux urgences d’ophtalmologie. Enfin, comme un médecin interne travaille en moyenne de 70 à 80 heures par semaine, cela signifie que son salaire horaire réel est nettement plus bas que celui d’une caissière à la Migros.
Si tout va bien, que le futur chirurgien a commencé la médecine à 18 ans et qu’il a eu la chance d’enchaîner toutes ses formations sans perdre une seule année (ce qui n’est de loin pas la norme, car les places de formation sont si rares que les candidats doivent parfois tourner pendant des années dans d’autres services avant d’obtenir le poste convoité), le «jeune» ophtalmo-chirurgien ne pourra théoriquement commencer à opérer de manière indépendante qu’à 31 ans. Ce qui n’est pratiquement jamais le cas, car, pour achever leur formation minimale, les médecins restent plusieurs années supplémentaires en milieu hospitalier, où ils constituent une main d’oeuvre corvéable à merci rémunérée très modestement par rapport à la longueur et à la difficulté de leurs études ainsi qu’à la responsabilité et à l’intensité de leur travail.
Dans la pratique, la plupart des ophtalmo-chirurgiens de notre pays doivent s’exiler pendant plusieurs années à l’étranger afin de parfaire leur formation de base, généralement sans salaire ou avec une rémunération symbolique, voire en nature (nourris-logés dans un hôpital). Ainsi donc, à plus de 30 ans, loin de toucher des honoraires mirobolants ni de commencer à se constituer une quelconque prévoyance en vue de leur retraite, les futurs ophtalmo-chirurgiens emploient leurs économies, contractent des emprunts bancaires, retirent parfois leur petit 2e pilier pour financer une formation destinée à traiter leurs compatriotes, formation que les institutions suisses ne sont pas en mesure de leur proposer et encore moins de leur financer. Il existe bien pour la forme quelques bourses par-ci, par-là, mais très rares en sont les bénéficiaires.
En ce qui concerne l’opération de la cataracte proprement dite, ce n’est pas parce qu’elle est devenue plus rapide qu’il y a 20 ans grâce à des développements impressionnants des techniques et du matériel opératoires qu’elle est pour autant moins risquée qu’autrefois. La nature même des appareils utilisés au cours de opérations fait que le moindre faux-geste, la moindre complication peuvent entraîner des conséquences aussi dramatiques que dans le temps.
Oui, il n’est pas faux d’affirmer que, quand tout se passe très bien, une opération de cataracte prend beaucoup moins de temps qu’il y a 30 ans, mais même pour une cataracte très simple, une opération réalisée en 15 minutes tient plus du record que de la norme. Toutes les cataractes ne se ressemblent pas et il existe de nombreuses circonstances (pupille qui ne dilate pas, cataracte blanche, pseudo-exfoliation, floppy-iris syndrome, etc.) où il est irréaliste de vouloir réaliser l’opération en toute sécurité dans un délai aussi court. En somme, affirmer qu’on opère la cataracte en 15 minutes est aussi juste que de dire qu’on court normalement les 100 m en 9’58’’ : ce qui est vrai pour Hussein Bolt dans des circonstances exceptionnelles n’est de loin pas la norme pour tous les coureurs, même pour les athlètes d’élite. Encore une fois, ce n’est pas la durée de l’opération qui doit être prise en compte pour fixer les honoraires, mais les années de formation, l’expertise et le risque que doit assumer le chirurgien. En témoignent les primes mirobolantes des assurances RC chirurgicales payées par les chirurgiens, qui n’ont pas connu de baisse, alors que le tarif de l’opération de la cataracte a déjà chuté drastiquement depuis l’introduction du TarMed en 2004 et risque de descendre encore, raison pour laquelle la plupart des ophtalmo-chirurgiens préféreront à l’avenir rester tranquillement dans leur cabinet à prescrire des lunettes plutôt que de devoir se déplacer en clinique pour opérer dans de telles conditions.
Les chirurgiens qui, face aux médias, se vantent de boucler leurs opérations en 10 minutes, sont souvent ceux qui cumulent les complications post-opératoires, nettement moins médiatisées- les spécialistes du vite fait, mal fait. Ils profitent d’une publicité urbi et orbi de bonne foi et à coût zéro, puisque les journalistes invités en salle d’opération ne sont pas en mesure de juger ou pas du succès d’une intervention et qu’ils ne reverront pas le patient pour s’assurer de sa bonne récupération dans les jours ou les semaines qui suivront. Et puis, comme pratiquement tout le monde sera opéré de la cataracte un jour ou l’autre, autant se rassurer et rassurer le public en lui racontant que c’est simple, sûr et rapide. On justifie du même coup le fait de vouloir réduire au-delà de toute proportion raisonnable les honoraires des chirurgiens et on leur fait porter à la fois la responsabilité de l’augmentation des primes d’assurance et celle des éventuelles complications opératoires, dont ils assumeront les conséquences en réopérant le patient à leurs frais (merci le DRG!) et, le cas échéant, en le dédommageant par le biais de leur assurance RC chirurgicale privée (qui, forcément, renchérira leurs primes, comme après tout sinistre).
Dernièrement, pour récompenser les chirurgiens qui sont venus à bout de toutes ces années d’effort, de sacrifice et d’investissement, l’État vient de trouver LA solution pour juguler l’augmentation des coûts de la santé : le moratoire sur les installations ! A l’heure actuelle, nombre de médecins suisses en fin de formation, interdits d’installation et condamnés à travailler comme tâcherons dans des centres détenus par de grands groupes privés qui investissent dans la santé comme dans le pétrole, se sentent bafoués par la classe politique, qui se permet en même temps de se plaindre que la relève médicale n’est pas assurée dans notre beau pays.
Ce que vous venez de lire sur l’ophtalmologie s’applique à bien d’autres spécialisations chirurgicales, comme par exemple la chirurgie pédiatrique. Le Conseil fédéral, mal informé et encore moins bien conseillé, a décidé de diminuer les honoraires des opérations les plus pratiquées, toutes spécialités confondues, donc celles qui constituent le plus gros fardeau financier pour les assurances-maladie. Il a juste omis de tenir compte que «fréquent» ne signifie pas forcément «facile», et que la formation et la responsabilité des chirurgiens n’en sont pas diminuées d’autant. On peut se demander pourquoi la médecine fait encore partie des professions dites «libérales», alors que ses tarifs lui sont imposés par État tout-puissant en la matière !
A force de répéter les mêmes discours fallacieux, on convainc le bon peuple que les médecins sont les responsables des coûts de la santé, et l’équation est vite faite : il faut diminuer leur salaire pour résoudre le problème. On passe totalement sous silence le scandale que constitue le fait que notre système d’assurance maladie soit confié à des privés qui en tirent de juteux bénéfices et que les médicaments en Suisse coûtent scandaleusement plus cher qu’à l’étranger. Last but not least, qu’une médecine performante, ultra-développée et dont tout un chacun exige des miracles pour soi-même et pour ses proches a un prix, et que ce prix ne peut qu’augmenter en fonction du perfectionnement des techniques utilisées et de la modernisation du matériel employé. On oublie que ces appareils de plus en plus performants dont chacun voudrait bénéficier sont développés par des entreprises cotées en bourse qui en fixent les prix selon des objectifs de rentabilité. Il est grand temps de cesser de faire croire à la population qu’on peut faire baisser les coûts de la santé tout maintenant, voire en augmentant la qualité, la technicité et la performance des soins.
En matière de santé, meilleur marché signifie moins : moins de prise en charge médicale, moins de traitements à disposition, des médicaments moins coûteux, moins novateurs, moins performants. La médecine à deux vitesses existe déjà en Suisse, mais au train où vont les choses, le petit peuple continuera de payer des primes obligatoires de plus en plus élevées pour des soins de plus en plus rationnés, et la médecine de haut vol, non-conventionnée, sera réservée aux riches et aux puissants, comme c’est le cas depuis toujours aux USA, dont nos politiques voudraient à présent appliquer en Suisse les recettes éculées pour le plus grand bonheur des marchands d’assurances. Ou encore le modèle allemand, tout aussi dommageable.
Je vous rappelle également que les médecins sont des travailleurs, mais que leurs organisations faîtières, totalement opaques à l’instar de la FMH, loin de se comporter en syndicats et de défendre les intérêts de leurs membres, font en permanence le jeu du gouvernement, des assurances-maladie et des entreprises pharmaceutiques. Il n’y a donc personne pour être le porte-voix de ceux qui, malgré tous les obstacles imposés par l’État et la privatisation rampante du système de santé, continuent de soigner, d’opérer et de guérir leurs patients dans des conditions de travail qui ne font que de se dégrader et que d’autres professions combattraient, par exemple par la grève- dont sont exclus les médecins hospitaliers par l’obligation qui leur est faite de maintenir un service minimum pour la population. Ce n’est pas ainsi que l’on motivera les meilleurs de nos gymnasiens à imaginer un avenir dans le monde médical.
En conclusion, votre journal pourrait tout aussi bien consacrer un article à cette problématique sous l’angle des vrais acteurs de la santé, c’est-à-dire celui des médecins qui sont sur le terrain, et non pas ceux affidés aux assurances ou au service des autorités pour délivrer un discours standardisé qui ne correspond en rien à la réalité. Permettez-moi de vous en suggérer le titre : «Les chirurgiens, victimes d’un système inadéquat».
Veuillez agréer, Messieurs, l’expression de mes sentiments distingués,
Géraldine Freeman
Chère Madame,
On m’a transmis votre commentaire à l’interview que M. Dupommier m’a fait.
Je vous remercie de lire ce mensuel et me permettrai, pour prolonger la discussion, quelques commentaires.
Tout d’abord pour préciser que si je suis un homme de gauche, je suis aussi pédiatre ayant travaillé dans différents contextes, mais ayant eu un cabinet indépendant à Châtel-St-Denis puis à Monthey en parallèle à une activité hospitalière à temps partiel pendant près de 30 ans. J’ai même créé et dirigé le Centre Pédiatrique pluridisciplinaire du Chablais Valaisan, entité totalement privée et qui donne du travail à quelque 20 personnes. Je suis donc un praticien, qui connait la médecine libérale du dedans, et même si les pédiatres ne sont pas les médecins les mieux rémunérés, j’ai fait partie des 10% des citoyens qui déclaraient les plus hauts revenus. J’ai aussi fait le curriculum de formation que vous décrivez, et j’ai financé mes études dès le 3ème examen propédeutique terminé. Je n’ai ouvert un cabinet que à 39 ans, et ai travaillé 80-100h dans les hôpitaux puis encore au moins 60 heures depuis 1991…..Mais je l’ai fait par passion et ne regrette rien….Il n’empêche que les études en soi, dans notre pays, sont payées par la société et j’ai toujours pensé que j’étais un privilégié, ce qui m’a donné une certaine distance par rapport à l’argent. Vous savez comme moi ce que coûte à l’Etat la formation de médecin, et vous savez aussi le salaire médian des médecins, je ne vous le rappellerai pas.
Ceci dit, vous ne réagissez que sur un élément de l’interview alors que j’essayais de démontrer que les assurés étaient l’otage des différents lobbies, des médecins, des assurances, des pharmas et des politiques, chacun mettant la responsabilité sur l’autre, ce qui bloque toute analyse un peu objective. Dès lors, permettez-moi de dire que vous faites bien votre travail de lobbyiste des médecins que je connais très bien. Mais les hôpitaux, les faîtières des assurances, la FMH (qui malgré ce que vous semblez dire défend la médecine libérale), les entreprises pharmaceutiques auraient pu nous écrire aussi en jurant “leur grand dieu” qu’ils ne font que leur travail et qu’ils ne sont intéressés que par la santé de chacun de nos concitoyens.
est-il normal que les primes maladies augmentent plus que les coûts de santé? Non et pourtant
est-il normal que les médicaments sont si chers en Suisse? non et pourtant
est-il normal que certaines prestations sont trop chères? non et pourtant (j’aurais aussi pu parler des radiologues ou des urologues ou encore des gynécologues….et peut-être même des pédiatres)
est-il normal que les politiques ne voient que les coûts qui augmentent, sans voir le vieillissement de la population et les progrès techniques, et le personnel soignant mal rémunéré? Non et pourtant
c’est en substance ce que cet interview disait et je ne retranche rien et assume mon propos
Bien sûr vous avez le droit d’avoir un autre avis, c’est la démocratie!
Je vous envoie mes salutations cordiales
Dr Bernard Borel, pédiatre FMH