Nous vivons des temps un peu curieux. L’envolée du prix de l’énergie, et particulièrement celui de l’électricité, brouille certains repères. Ainsi, n’a-t-on pas vu l’Union suisse des arts et métiers (USAM), ce repaire de patrons udécistes et néolibéraux, plaider pour que les entreprises qui avaient opté pour le marché libéralisé – prétendument moins cher – puissent retourner dans le giron de l’État et bénéficier de tarifs régulés, maintenant que la pénurie envoie le prix du kilowattheure à des hauteurs stratosphériques.
Les mêmes patrons qui n’ont eu de cesse depuis vingt ans d’œuvrer à la privatisation de ce domaine.
Plus cocasse encore, la commune de Saint-Prex a porté plainte auprès de la Commission de la concurrence, qui n’est d’ailleurs pas compétente et a renvoyé la patate chaude au Surveillant des prix. «Je suis favorable à un marché libre, mais il faut avoir un marché qui fonctionne. Or, ce n’est actuellement plus le cas», plaide le municipal à l’origine de la démarche. Visiblement, les Tartuffes sont de sortie. Après avoir profité de courant bradé, maintenant que la spéculation montre son mufle hideux, on appelle l’État à la rescousse. Et sans rougir.
Cette panique qui gagne les entreprises et les collectivité publiques – la Ville de Vernier qui s’est aventurée sur ce terrain glissant se prend une hausse de 530% dans les gencives! – est révélatrice d’une foi de charbonnier dans de prétendus mécanismes de marché.
Deux remarques par rapport à ce qui s’apparente à une pensée religieuse. En premier lieu, ce marché est pour le moins partiel. Il est surtout le lieu de monopoles. Il n’y a pas deux réseaux électriques, les droits en eau pour les barrages sont limités et font l’objet de concessions et les bons sites pour les éoliennes ne sont pas légion. On est loin de la loi de l’offre et de la demande. La privatisation votée en 2007 avait surtout pour but d’offrir des marchés sans risques et très lucratifs à des capitaux en mal de débouchés. Ensuite, il convient une nouvelle fois de dénoncer cette marchandisation d’un bien commun. L’accès à l’électricité, comme celui à l’eau, à la santé, à l’éducation ou au logement sont des biens vitaux, de première nécessité. Leur accès doit être garanti selon des normes d’équité sociale.
La crise actuelle doit être l’occasion pour les forces politiques soucieuses de progrès social de remettre les pendules à l’heure et de revendiquer qu’en lieu et place d’un marché faisandé, la démocratie, la justice sociale et le rôle régulateur et planificateur de l’État retrouvent droit de cité.
Le Courrier, 8 septembre 2022, Philippe Bach
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