Vers une nouvelle baisse d’impôts à Genève ?

«Ils sont devenus fous!» s’exclame Jean Batou. Le député d’Ensemble à Gauche a réagi fortement à la validation, mardi, par la commission fiscale du Grand Conseil, du projet de loi libéral-radical (PLR) qui propose une baisse d’impôts linéaire de 5% pour les personnes physiques. Selon nos informations, toute la droite a accepté de porter le texte en session plénière. Parmi les partis ayant voté oui, seul le MCG a par la suite émis des réserves, puisque la réduction s’appliquera également aux contributions à la source et donc aux frontaliers.

Jacques Béné, député PLR, avance deux arguments pour défendre cette proposition dont les pertes en termes de recettes fiscales auraient été chiffrées à quelque 206 millions de francs par l’Hôtel des finances. Comme le mentionne l’exposé des motifs, il s’agit d’offrir «un bol d’air» aux Genevois·es dont les charges ne cessent de croître, limitant leur capacités de dépenses et d’épargne.

Contraindre le Canton

Le deuxième argument est d’ordre structurel. «Nous estimons que l’Etat est trop bien doté», argue Jacques Béné, selon qui on peut «faire mieux avec moins». De fait, pour le député, priver le Canton de recettes fiscales, c’est «l’obliger à trouver de nouvelles ressources en diminuant ses charges». La droite dénonce depuis des années des états-majors pléthoriques et des processus inefficients. «Il faut mener une analyse approfondie, puis favoriser la mobilité interne, afin d’allouer les ressources là où elles sont nécessaires», abonde Françoise Sapin, membre MCG de la commission fiscale.

Mais le canton peut-il vraiment se priver de plusieurs centaines de millions de francs de recettes, tout en présentant un projet de budget déficitaire de 420 millions de francs? Jacques Béné, selon qui les pertes dues à la Réforme de l’imposition des entreprises (RFFA) sont d’ores et déjà compensées, le pense. «Le cas échéant, les mécanismes du frein à l’endettement seront enclenchés. La population se prononcera alors entre hausse d’impôts et baisses de prestation.»

Gauche outrée

A la gauche de la gauche, on annonce d’ores et déjà que si le Grand Conseil vote ce projet, un référendum sera lancé. Pour Jean Batou, il est hors de question de rogner sur les recettes, alors que la crise enfonce une partie de la population dans la précarité. «Une baisse d’impôts linéaire ne sera d’aucune aide aux contribuables qui ne paient pas de taxes, parce que leurs revenus sont trop bas. Elle ne profitera qu’aux plus riches!» s’insurge-t-il.

Selon le socialiste Sylvain Thévoz, ôter des recettes à l’État équivaut à «détruire la fonction redistributive de l’impôt» qui permet de financer la lutte contre la précarité, ou encore la transition écologique. Pour l’élu, «l’État s’en remettra, pas les gens». Enfin, il souhaiterait, avant le débat en plénière, que les conséquences financières du projet puissent être chiffrées.

Prudence gouvernementale

Auditionné en commission fiscale en 2019, le Conseil d’État «avait à l’époque indiqué qu‘il s’opposait à cette baisse d’impôt dans un contexte concomitant à la réforme RFFA », nous a fait savoir Nathalie Fontanet, conseillère d’État chargée des Finances. Depuis, le sujet n’a plus été abordé. «Les effets à court, moyen et long terme des baisses d’impôts ne sont pas simples à mesurer et ne sont pas identiques», d’une réforme à l’autre, souligne la magistrate, s’agissant d’un chiffrage précis.

Quant aux effets de RFFA, Nathalie Fontanet explique la difficulté de répondre précisément, la réforme ayant entraîné des changements dans les déclarations. Elle estime néanmoins que les «comptes 2021 ont montré des revenus extraordinaires laissant présager que les effets de RFFA ont effectivement été absorbés». Une lecture qui n’est manifestement pas partagée par la Ville de Genève. Lundi, présentant les comptes 2021 au Conseil municipal, Alfonso Gomez, magistrat chargé des Finances, a déclaré: «Contrairement à ce que certains prétendent, RFFA plombe nos finances. Ce sont au total 75 millions qui vont manquer».

Le Courrier, 22 septembre, 2022 Maria Pineiro

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