Ce poivron a bien un propriétaire

Accusée de biopiraterie par des ONG, la firme bâloise Syngenta se voit confortée par l’Office européen des brevets, qui confirme ses droits sur le poivron anti-mouches.
Le poivron pour lequel Syngenta a obtenu un brevet a simplement été créé en opérant un croisement entre un poivron jamaïcain sauvage, qui avait la faculté de repousser les mouches, et un poivron commercial.

Les poivrons résistants aux assauts de la mouche blanche sont bien la propriété du géant bâlois Syngenta et vont le rester. Ainsi en a décidé jeudi l’Office européen des brevets (OEB), en rejetant le recours déposé en 2014 par 32 organisations de la société civile de 27 pays, dont Public Eye et Swissaid.

Une décision incompréhensible aux yeux des ONG, qui soutiennent mordicus que seuls les plantes et animaux obtenus par le génie génétique (OGM) sont brevetables. Or, le poivron pour lequel Syngenta a obtenu cette protection a simplement été créé en opérant un croisement entre un poivron jamaïcain sauvage, qui avait la faculté de repousser les mouches, et un poivron commercial. Un procédé qui a un nom, explique Swissaid: «Breveter une résistance aux insectes de cette manière relève clairement de la biopiraterie».

Flou juridique

A contrario, pour l’Office européen des brevets, le poivron revendiqué par Syngenta est donc bel et bien une «invention», donnant droit à un brevet, et non une simple découverte. Pourtant, la Grande chambre de recours de ce même organe avait statué en 2020 que les plantes et les animaux issus d’une sélection conventionnelle – c’est-à-dire sans OGM – n’étaient pas brevetables. Elle a toutefois précisé que sa décision n’était applicable qu’aux demandes de brevets déposés après le 1er juillet 2017, date à laquelle le conseil d’administration du même organe avait déjà statué dans ce sens.

Syngenta ayant déposé son brevet en 2007, il serait en droit en quelque sorte de bénéficier du flou juridique de l’époque. A chaque utilisation ou vente du poivron répulsif, les semencier·ères doivent payer une licence au plus grand groupe agrochimique du monde.

Un enjeu colossal

Les ONG dénoncent le délai «inadmissible» de neuf ans entre le recours qu’elles ont déposé après l’octroi du brevet et son examen par l’OEB. Aujourd’hui, les organisations de la société civile pourraient encore faire appel, mais cela ne fait plus trop de sens vu les délais: «Un brevet a une durée de vingt ans. Si nous faisons appel maintenant et qu’une nouvelle décision intervient en 2028, le brevet sera échu et nous aurons perdu de précieuses ressources financières pour rien», explique Simon Degelo, spécialiste du dossier à Swissaid.

L’enjeu est pourtant colossal car ce ne sont pas moins de 300 autres brevets, demandés avant 2017, sur le vivant qui pourraient être octroyés dans la foulée de la décision de jeudi.

Malgré les clarifications du droit, l’OEB pourrait passer outre la date butoir de 2017 face aux artifices juridiques des avocats spécialisés: «Les grands groupes semenciers n’hésitent pas à exploiter les failles juridiques pour breveter, par exemple, des plantes résultant d’une mutagénèse aléatoire ou certains gènes d’origine naturelle et leurs propriétés. Rien qu’en décembre 2022, l’OEB a délivré au moins quatre brevets de ce type sur de l’orge brassicole, des melons, des tomates et même du pissenlit», explique un communiqué de Public Eye et Swissaid.

Les ONG s’interrogent sur l’indépendance de l’OEB: «Cet organe dépend financièrement des firmes agrochimiques puisqu’il perçoit des frais pour tout brevet octroyé, et ceci aussi chaque année lors du renouvellement. L’OEB a donc intérêt à approuver un maximum de brevets», détaille Simon Degelo.

Le Courrier, 17 février 2023, Christophe Koessler

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