Le Parlement fédéral débat du projet de financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires du système de santé (EFAS). Pilotée par les assureurs, cette contre-réforme accélérerait la libéralisation du secteur. Le système de santé est aujourd’hui confronté à deux crises majeures. D’un côté, on a une pénurie toujours plus criante de personnel et de médicaments. De l’autre, force est de constater que de larges couches de la population ne peuvent plus payer des primes individuelles et des coûts additionnels dont le montant est déjà trop élevé, mais ne cesse d’augmenter.
C’est dans ce contexte que le lobby des assurances présente son projet de financement uniforme des soins ambulatoires et stationnaires (EFAS) comme le grand coup de balai qui s’attaquerait aux racines des nombreux dysfonctionnements du système de santé. C’est cependant loin d’être le cas: EFAS est avant tout une pseudo-réforme qui engendrerait des dégâts énormes.
Perte de pouvoir des cantons
En gros, EFAS n’est rien d’autre qu’une privatisation partielle de l’assurance de base. Avec ce projet, les quelque 11 milliards de francs d’impôts que les Cantons dépensent actuellement pour les hôpitaux seraient simplement transférés aux caisses maladie. Les assureurs devraient ensuite répartir les fonds dans tous les domaines des soins par le biais de l’« institution commune LAMal » – dans laquelle les cantons pourraient siéger, mais seulement à titre consultatif – selon une clé de répartition uniforme au niveau national. Le pouvoir de pilotage des caisses augmenterait donc fortement (qui paie commande !), au détriment des cantons qui en ont pourtant la légitimité démocratique. Pire encore: les cantons ne pourraient même pas formuler des mandats de prestations pour tous ces milliards (comme c’est normalement partout le cas dans le service public).
Cadeau aux privés
On peut penser qu’il est absurde d’avoir un financement différent pour les traitements ambulatoires et les interventions stationnaires (les cantons participent à hauteur de 55% au domaine stationnaire et ne financent pas du tout l’ambulatoire). Mais la simple suppression de cette règle ne changerait rien au fait que les systèmes tarifaires existants continuent à produire des soins excédentaires coûteux (les interventions lucratives rentables) et des lacunes, non moins coûteuses, dans d’autres secteurs.
Dans la première version adoptée par le Conseil national, EFAS prévoit même un nouveau cadeau de plusieurs centaines de millions aux hôpitaux privés, puisque ceux-ci recevraient désormais une indemnisation majorée de 30%.
Far West de longue durée
Autre point totalement incompréhensible du projet: contrairement au Conseil national, le Conseil des Etats a également intégré les soins de longue durée (les EMS et les soins à domicile) dans le financement uniforme. Concrètement, cela signifie que ce domaine, qui connaît aujourd’hui la croissance la plus rapide – en raison du vieillissement de la société – serait désormais entièrement financé par les primes d’assurance maladie. En effet, le plafonnement actuel de la contribution des primes aux soins de longue durée, qui constitue une des rares barrières efficaces contre la croissance galopante des primes, a été complètement supprimé du texte par le Conseil des Etats.
Le résultat serait une sorte de « far west » dans le financement des soins de longue durée. Et il ne faut pas chercher loin pour trouver qui en pâtirait le plus: ce seraient, encore une fois, les patient·e·s et le personnel. Ce qui est perfide dans cette affaire, c’est que les soins de longue durée ont été intégrés dans la réforme, notamment sous la pression des cantons. En effet, à ce niveau, les cantons s’en sortiraient financièrement mieux à long terme – au détriment des payeurs de primes !
Les patient·e·s paieront plus
Avec EFAS, les assuré·e·s risquent de voir augmenter leurs primes, mais aussi leur participation aux coûts. En effet, dans le domaine des soins de longue durée, le texte de loi prévoit explicitement que le plafonnement actuel de la contribution des patient·e·s ne s’appliquera plus que pendant cinq ans. D’autre part, en cas d’hospitalisation stationnaire, la totalité des frais de traitement serait désormais facturée en tenant compte de la franchise et de la quote-part – aujourd’hui, c’est à peine la moitié.
De plus, le cœur même d’EFAS, soit une « clé de financement uniforme au niveau national », signifie que chaque canton devrait adapter sa clé de financement actuelle à la moyenne suisse. Et cela devrait se faire soit par une hausse des primes (encore !), soit en augmentant les dépenses fiscales.
Des promesses en l’air !
Pour ne pas avoir à entrer dans le détail des nombreuses aberrations prévues par ce projet, les partisan·e·s d’EFAS se contentent d’évoquer les « centaines de millions de francs » que leur projet permettrait d’économiser. Là aussi, il s’agit d’une affirmation totalement creuse. Il n’existe en effet aucune étude, et donc aucun chiffre étayé, sur les économies possibles grâce à EFAS. Même Santésuisse, la principale organisation faîtière des assurances maladie, écrit textuellement ceci: « EFAS ne résout pas le problème fondamental de l’augmentation excessive des coûts de la santé ».
Se concentrer sur l’essentiel
Le Parlement doit donc stopper la réforme EFAS. À la place, la politique de santé devrait enfin se concentrer sur l’essentiel et le plus urgent: le renforcement de la couverture des soins (notamment par une amélioration des conditions de travail du personnel), des mesures efficaces de maîtrise des coûts (notamment par une baisse des prix des médicaments, une réforme des systèmes tarifaires et la fin de toute forme d’affairisme dans l’assurance complémentaire) ainsi qu’un financement social par des réductions de primes nettement plus étoffées.
Reto Wyss, Union syndicale suisse
Le SSP prêt pour le référendum !
Le 21 décembre 2007, les Chambres fédérales adoptaient la révision de la Loi sur l’assurance maladie (LAMal) dans le domaine du financement hospitalier. Cette révision a soumis les hôpitaux publics et subventionnés à une pression énorme dans toute la Suisse. Entre fusions, privatisations, externalisations et fermetures de sites, le nombre d’établissements publics a fondu aussi vite que les glaciers !
En chiffres: en 2007, on comptait 203 hôpitaux publics et subventionnés, contre 130 établissements privés. En 2021, on ne compte plus que 101 établissements publics et subventionnés (47 établissements publics « purs » et 54 établissements répertoriés comme fondations ou associations, en général subventionnés). Un recul de 50% !
Quant au secteur privé, il est passé à 173 établissements en 2021, soit une progression de 33% durant la même période.
Le projet de financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires du système de santé (EFAS), en discussion aux Chambres fédérales, va accélérer ce processus. Il promet en effet davantage de financement pour le secteur privé. Nos impôts et nos primes, passés entièrement sous le contrôle des caisses maladie, pourraient alors servir à financer les sociétés qui réalisent des profits dans la santé !
En 2019, à l’occasion du dernier congrès du SSP, nous avions déjà débattu de cette contre-réforme. Notre syndicat avait alors décidé de combattre EFAS par référendum au cas où le projet serait adopté, car ce dernier représente une menace pour les services publics.
En 2023, les discussions parlementaires ont poussé le bouchon encore plus loin. Le 25 mars dernier, l’assemblée des délégué·e·s du SSP a donc confirmé la position de notre syndicat: si le Parlement fédéral adopte le projet EFAS dans sa forme actuelle, le SSP confirme sa détermination à lancer un référendum et formera une large coalition pour couler cette réforme concoctée par les assureurs.
Beatriz Rosende, secrétaire centrale SSP
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