Des habitants de la petite île indonésienne de Pari, menacée par la montée des eaux, ont déposé une plainte à Zoug contre le géant du ciment mondial Holcim. Une première en Suisse. L’île Pari, en Indonésie, connait de plus en plus d’inondations du fait du changement climatique.

Ils s’appellent Arif, Asmania, Bobby et Edi et sont habitants de la petite île de Pari – 4 kms de long et quelques centaines mètres de large – dans la mer de Java et étaient de passage en Suisse en juin pour rencontrer des parlementaires suisses avant de filer en Allemagne. Tous les quatre ont subi des dommages et des pertes dans leur activité à cause des inondations répétées sur l’île, du fait du changement climatique. Pour eux, le géant mondial du ciment Holcim en est responsable du fait des massives émissions de gaz à effet de serre du cimentier. Selon une étude du Climate Accountability Institute, Holcim a ainsi émis plus de sept milliards de tonnes de CO2 entre 1950 et 2021. Cela représente 0,42 % de l’ensemble des émissions industrielles mondiales de CO2 depuis 1750, soit plus du double de ce que l’ensemble de la Suisse a émis sur la même période.

Epaulés par l’Entraide Protestante Suisse (EPER), par Walhi, le plus grand réseau pour l’environnement d’Indonésie, et par le European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR), sis à Berlin, ils demandent à Holcim des réparations individuelles, une indemnisation pour la souffrance psychique endurée et une contribution aux mesures d’adaptation nécessaires sur l’île (plantation de mangroves et construction de brise-lames, de «bronjongs», pour protéger l’île). Le montant de leurs revendications s’élève à l’équivalent de…3’600 francs environ par personne.

Cette démarche juridique ne va pas de soi et affronte de nombreuses embûches. En juillet 2022, les plaignants ont soumis une requête de conciliation à Zoug, où se trouve le siège du groupe Holcim. Cette première étape était nécessaire pour lancer une procédure civile. Durant cette étape procédurale obligatoire, le juge de paix cherchait à trouver, avec les parties impliquées, une solution à l’amiable.

En cas d’échec, les plaignants disposaient de trois mois pour déposer plainte auprès d’un tribunal civil. «Malheureusement, lors de l’audience de conciliation qui s’est tenue en octobre 2022, Holcim n’a manifesté aucune intention d’obtenir un accord avec les plaignants. Les négociations se sont donc soldées par un échec. Le 30 janvier 2023, ils et elles ont donc déposé une plainte contre Holcim devant le Tribunal de première instance de Zoug. Désormais, Holcim doit lire la demande et y répondre par écrit. Il faudra sans doute attendre quelques mois avant une première audience devant le tribunal», résume Yvan Maillard, spécialiste climat à l’EPER. «Dans notre combat pour la justice climatique, nous nous concentrons sur les pertes et dommages subis par les pays les plus vulnérables et leurs réparations », précise-t-il rappelant qu’un Fond spécial ad hoc (Loss and Damage Fund) (1) a été créé lors de la COP 27 à Charm-el-Cheik en 2022.

«Ce que nous faisons maintenant est important pour l’Indonésie, qui compte près de 17’000 îles, la plupart petites, que nous risquons de perdre dans le futur, provoquant des réfugiés climatiques. Cependant, le cas de Pari ne représente pas seulement ses habitants, mais aussi celui de millions de personnes qui luttent pour la justice climatique dans le Sud Global», a argumenté Parid Ridwanuddin, responsable campagnes petites îles, océans et pêche auprès de Walhi à l’occasion d’une réunion à Genève.

(1) Selon le Programme sur l’environnement des Nations Unies (UNEP), ce nouveau fonds « doit combler les lacunes que les institutions actuelles de financement du climat, telles que le Fonds vert (Green Fund) pour le climat, ne parviennent pas à remplir».

Infos complémentaires sur
https ://callforclimatejustice.org/fr

Voix populaire, le 4 juillet 2023, Joel Depommier