Un intense débat politique a suivi l’annonce d’une nouvelle hausse des primes d’assurance maladie. La responsabilité des sociétés privées à l’assaut de la santé est pourtant souvent occultée.
L ’automne arrivé, les assuré-e-s ont vu à nouveau leur prime grimper plus vite que leur salaire.
Les assuré-e-s passent doublement à la caisse: ils et elles sont aussi les malades, les résident-e-s en EMS ou les «client-e-s» des soins à domicile qui déboursent, en plus des primes, des sommes astronomiques au titre de franchises, participations aux coûts, etc.
Comment interpréter cette augmentation des dépenses de santé quand, en même temps, les personnels de la branche voient leurs conditions de travail se dégrader et abandonnent leur travail? On pourrait croire que, si les primes augmentent, les conditions de travail s’améliorent. Or c’est le contraire qui se passe.
L’OPACITÉ AUX COMMANDES. Le magazine Bon à savoir (1) a tenté d’en savoir davantage. Pas si simple car, en matière de coûts de la santé, les «données essentielles, qui devraient être accessibles, ne le sont pas». On peut suivre les individus à la trace grâce aux nouvelles technologies, mais on ne sait toujours pas où finissent nos primes d’assurance. Selon Bon à savoir, un des facteurs expliquant la hausse des dépenses pourrait avoir un lien avec la quantité de prestations fournies: nombre de consultations, hospitalisations, journées en EMS, interventions dans les soins à domicile, médicaments, radios, etc. Or la population augmente, donc le volume des prestations aussi, logiquement. De son côté, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) évoque le vieillissement de la population et le recours à davantage de prestations médicales par ces personnes âgées. Autre source de dépenses: les hôpitaux et les cliniques. Mais les chiffres les concernant ne sont pas du tout transparents, car l’OFSP a sous-traité la tâche de les collecter et les traiter à une société anonyme – Sasis SA – détenue par Santésuisse, la principale organisation faîtière des caisses maladie. De plus, les chiffres fournis par Sasis sont anonymisés et agrégés. On en est là: les primes augmentent, et on ne sait pas vraiment où filent ces milliards.
Bon à savoir évoque aussi l’augmentation des consultations et prestations des médecins spécialistes. Se basant sur un document confidentiel de l’OFSP, le magazine dévoile une tendance de fond: les consultations chez les médecins de premier recours et les généralistes sont stables, voire à la baisse, entre 2011 et 2020, alors qu’elles augmentent sensiblement chez les spécialistes (+60% en dix ans), dont les revenus grimpent d’autant.
CLINIQUES À L’OFFENSIVE. Du côté des payeurs, il y a les assuré-e-s, les malades et les résident-e-s en EMS, et même nos impôts qui financent les subventions des assuré-e-s modestes. De l’autre côté de la rive, il faut souligner l’intérêt de plus en plus marqué de certains investisseurs de haut vol pour la santé (lire ci-contre). Les groupes de cliniques privées se déploient notamment avec agressivité dans le secteur.
Jusqu’à la dernière révision de la Loi sur l’assurance maladie (LAMal) en 2007, les cliniques ne pouvaient, de manière générale, être financées que par les assurances complémentaires privées. On a beaucoup pointé le mode de financement des forfaits par cas (DRG) et sa responsabilité dans l’affaiblissement des hôpitaux publics, ce qui est juste. On a cependant moins prêté attention à la bataille que les établissements privés ont mené – et continuent à mener – pour obtenir les mêmes conditions que le secteur public, l’accès aux fameuses listes hospitalières. Dans un premier temps, les cliniques ont obtenu que quelques-uns de leurs lits soient pris en compte dans la planification hospitalière. Elles ont ensuite réussi, avec de forts appuis politiques, à mettre en place des partenariats public-privé. Comme à Genève où, sur un terrain de la caisse de pension de l’État de Genève (CPEG), le groupe Hirslanden et les hôpitaux universitaires de Genève (HUG) vont exploiter à parts égales un immense centre de chirurgie ambulatoire privé-public. Avec encore une fois la rentabilité en ligne de mire. Où iront les bénéfices ? On le devine. Qui payera? Nos primes, notre participation, nos franchises et certainement aussi nos impôts !
UN RÉSEAU QUI S’ÉTEND. Ces cliniques ne contrôlent pas que des salles d’opération, des divisions de médecine ou des prestations ambulatoires. Elles incluent aussi des réseaux croissants de médecins spécialisé-e-s. Vaud Cliniques, l’association des cliniques privées vaudoises, vient par exemple de recourir contre la clause du besoin en matière d’installation de nouveaux médecins (2). Motif: le Conseil d’Etat voulait limiter le domaine de la neurochirurgie. Or pour les patrons des cliniques, la limitation de l’admission à pratiquer constitue une «atteinte particulièrement grave à la liberté économique du corps médical» et «restreint l’accès des patients aux soins»! Pourtant ce qui restreint l’accès aux soins, ce sont plutôt les économies et les restrictions budgétaires imposées dans le secteur public!
Il y a pourtant une alternative à cette orgie de profits sur le dos des personnels et usager-ères de la santé: instaurer une caisse maladie publique et unique, ainsi qu’un mode de financement solidaire de la santé, sur le modèle de l’AVS. Il y a pourtant une alternative à cette orgie de profits sur le dos des personnels et usager-ère-s de la santé: instaurer une caisse maladie publique et unique, ainsi qu’un mode de financement solidaire de la santé, sur le modèle de l’AVS. ◼
(1) Dans son édition de juillet-août 2023.
(2) 24 heures, 6 juillet 2023.
VPOD, Services publiques, 15 septembre 2023
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