Alors que vient de nous être assené un énorme coup d’assommoir avec une augmentation des primes d’assurance-maladie qui avoisine les 10% en Suisse romande – dont seulement la moitié est due à l’augmentation des coûts de la santé, le reste étant lié à des «pertes boursières» des caisses maladie! –, le réel défi politique est de garantir l’accessibilité aux soins pour tous et toutes et de lutter contre une médecine à deux vitesses. Il en va de la cohésion sociale.
Le parlement issu des prochaines élections fédérales aura à répondre de sa capacité à résoudre cet épineux dossier, où les assuré·es et les patient·es ont été moins bien défendus ces dernières années que les pharmas, les médecins ou les assurances (qui continuent à augmenter les primes sans un véritable contrôle démocratique). Il faut s’en souvenir lorsqu’on ira voter – et ne pas oublier de le faire, c’est notre marge de manœuvre à tous et toutes.
L’histoire qui m’a été racontée récemment montre combien on peut «se prendre les pieds» dans les dédales de notre système de soins – que l’on considère souvent encore bien meilleur que celui de nos voisins. Ces jours derniers, une compagnie d’assurance-maladie vantait «une prime adaptée à chacun». Dans les faits, c’est souvent la réalité économique qui elle seule dicte le choix, par nécessité. C’est le cas de cette connaissance qui a «choisi» depuis quelques années une franchise à 2500 francs.
Notre homme a pris l’habitude de se soumettre annuellement à une batterie d’analyses médicales correspondant à ce que son généraliste prescrivait régulièrement auparavant, puis paie de sa poche les quelque 100 francs de facture directement au laboratoire. Cela a bien fonctionné jusqu’au jour où les résultats d’analyses n’étaient plus tous dans «l’intervalle de confiance» de la normalité. Dès lors, il a souhaité prendre l’avis de son médecin traitant, en précisant qu’il était bien sûr prêt à se présenter au cabinet si nécessaire. Pour toute réponse, il a reçu un coup de fil dudit cabinet, expliquant que le médecin ne commentait que les examens prescrits par lui!
S’en sont suivis quatre mois de recherches d’un nouveau médecin, soldés par une dizaine de refus, avant qu’il trouve une généraliste acceptant de le recevoir et, surtout, qui s’inquiète des résultats de laboratoire – confirmés par la prescription de nouvelles analyses. Devant la gravité de la situation, cette généraliste a pris finalement contact avec un spécialiste qui a entrepris un lourd traitement, heureusement avec succès à ce jour.
Cette histoire révèle plusieurs failles – potentiellement graves – de notre système de santé. La première est bien sûr la cherté des primes d’assurance-maladie 1, qui pousse l’assuré·e – en principe en bonne santé – à prendre une franchise élevée pour économiser un peu; mais qui, par là même, se désolidarise des personnes malades. Puis, cette franchise élevée induit à ne plus faire de contrôles médicaux «réguliers», puisque payés directement par le ou la patient·e.
Ces contrôles sont pourtant l’occasion d’un véritable entretien et d’un examen médical qui va bien au-delà d’une simple analyse de laboratoire, pour importante qu’elle soit. Ils sont peut-être aussi l’occasion de revoir les habitudes de vie, voire d’envisager quelques changements susceptibles d’améliorer la qualité de vie, et surtout de nouer les si importantes relation de confiance et connaissance de l’autre. Dans le cas rapporté, un accès régulier à des contrôles non compromis par une franchise élevée aurait probablement évité l’attitude du médecin traitant, pour le moins peu empathique et éthiquement mal défendable.
Une autre faille du système est le manque de généralistes romand·es, y compris en zone urbaine. Se voir refuser une consultation parce que l’on n’est pas un·e patient·e régulier·e, alors que l’on s’inquiète pour sa santé en précisant chaque fois que les analyses médicales semblent pathologiques, montre la gravité de la situation. Cela pousserait finalement à consulter, de guerre lasse, un service d’urgence. Ce que ma connaissance n’a pas fait «pour ne pas encombrer un service qui a d’autres choses à faire» – et c’est tout à son honneur.
Finalement, même si le traitement institué est efficace à ce jour, on ne peut pas s’empêcher de s’interroger sur le fait qu’il eût été plus simple et moins lourd en le commençant plus tôt. Du point de vue de santé publique, on parle ici de son économicité.
En trois mots, on pourrait dire que le système des primes d’assurance-maladie pousse à prendre de mauvaises décisions concernant notre santé, que l’importance d’un lien avec un médecin traitant de confiance n’est pas suffisamment valorisée et que les médecins généralistes – et les pédiatres – sont largement en sous-effectif. Autant de défis importants… que notre société et ses majorités politiques sauront-elles relever?
(1) Même si un facteur correctif existe au travers des subsides cantonaux, ces derniers sont variables d’un canton à l’autre.
Le Courrier, 13 octobre 2023, Bernard Borel, pédiatre FMH, conseiller communal à Aigle.
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