Pour réaliser sa mission, La Poste aurait besoin de «davantage de liberté», selon les mots de son président, l’ex-sénateur socialiste Christian Levrat.
Les comptes 2023 de La Poste affichent un bénéfice de 254 millions de francs. C’est moins que l’année précédente, le recul de ce boni est de 41 millions de francs. Comme il le fait régulièrement, le géant jaune a lancé quelques ballons d’essai à l’occasion de la présentation de ces chiffres. Et ces teasers ne laissent pas d’inquiéter.
Pour réaliser sa mission, La Poste aurait besoin de «davantage de liberté», selon les mots de son président, l’ex-sénateur socialiste Christian Levrat. Il a notamment plaidé pour que l’ancienne régie publique s’engage dans des domaines comme le dossier électronique du patient, l’e-voting ou l’identité électronique. Des alliances sont déjà nouées avec le secteur très opaque des assureurs maladie. Des cas de démarchages au guichet ont déjà été constatés, au détriment du secret postal1, semble-t-il.
Tout cela est bien beau. Mais cela permet de faire l’économie d’un débat politique sur les prestations actuelles, le cœur des activités de La Poste. En l’occurrence, celles-ci se dégradent. Les bureaux ferment, les épiceries qui reprennent ces activités ne fournissent pas les mêmes prestations et les tarifs prennent l’ascenseur. La distribution des journaux se fait de plus en plus tard dans la journée, ce qui participe de leur perte d’audience. Et ce service dégradé est facturé à la hausse. Il est dès lors un peu piquant de voir La Poste vouloir occuper le secteur de la démocratie – en proposant des solutions d’e-voting – tout en entravant la libre construction des opinions.
L’entreprise en main de la Confédération n’est bien sûr pas seule responsable de cette situation. Celle-ci a été voulue politiquement par le parlement lors du démantèlement et de la privatisation de la régie PTT. Le marché a été ouvert à la concurrence, partiellement il est vrai, mais pour ses aspects les plus lucratifs.
La tentation est dès lors forte d’aller braconner sur de nouvelles terres. Mais une autre réponse serait possible. Celle de considérer que les prestations fournies par le géant jaune relèvent du service public, qu’elles doivent être fournies selon des critères non marchands et qu’elles participent du lien social.
Car, à terme, la fuite en avant à laquelle nous assistons risque de conduire dans une impasse de type Swissair ou Credit Suisse. A un rachat pur et simple par un opérateur étranger plus puissant et qui ne s’embarrassera pas de vaines considérations sociales. On ne pourra pas dire que nous n’avions pas été prévenu·es.
Le Courrier, 14 mars 2024, Philippe Bach
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