Le poids des primes d’assurance-maladie devient toujours plus insoutenable pour les travailleurs et les travailleuses de ce pays. Le 9 juin prochain, votons oui à l’initiative d’allègement des primes!
L’initiative d’allègement des primes propose d’introduire une limitation constitutionnelle à l’impôt le plus antisocial qui soit, celui des primes par tête dans lequel les travailleurs·euses les plus défavorisé·e·s paient le même montant que les ultra-riches. Il s’agit d’une revendication élémentaire face au scandale de ce financement.
La Suisse est d’ailleurs le pays de l’OCDE dans lequel la population participe le plus aux dépenses de santé. Dans les pays de l’Union européenne, la majorité des dépenses de santé est financée par l’impôt ou par des cotisations salariales, à hauteur de 80%. En Suisse, ce sont à peine 36% des dépenses de santé qui sont financées par les pouvoirs publics. En conséquence, c’est la population qui trinque par le biais des primes, franchises et participations aux coûts. Les entreprises et les grandes fortunes ne contribuent pas au financement de la santé en Suisse. L’initiative d’allègement des primes permet d’aborder ce problème, mais il s’agit de poursuivre la réflexion.
Le résultat des votations du 3 mars a mis en évidence la confiance de la population dans l’AVS, qui se caractérise par un mode de financement social et tendant à réduire les inégalités entre riches et pauvres (tout le contraire des primes par tête qui sont proportionnellement plus lourdes pour les bas revenus). En s’inspirant du mode de financement de l’AVS pour les dépenses de santé, des calculs ont été effectués pour le financement de la santé en Suisse. Les résultats sont éloquents: une cotisation salariale de 3,2% (payée également par l’employeur) permettrait de couvrir l’équivalent des primes maladie déboursées par les ménages. Si on prend en considération l’ensemble des dépenses de santé des ménages, donc également les paiements directs (la participation aux coûts) et les assurances complémentaires, il faudrait alors une cotisation paritaire de 6,2% [1].
Un financement solidaire basé sur l’AVS permettrait ainsi à la fois de diminuer la charge que représentent les dépenses de santé pour les ménages et de financer les investissements nécessaires pour répondre aux besoins futurs et assurer des conditions de travail dignes dans les soins.
Lors de l’introduction de la LAMal en 1996, la prime moyenne était de 173 francs par personne. En 2024, elle se situe à 359,50 francs et a donc plus que doublé. Le 1 er janvier 2024, l’augmentation moyenne des primes maladie se monte à 8,7% par rapport à 2023. Une année auparavant, elle se situait à 5,4%. Ce mouvement est destiné à se poursuivre [2]. En 2024, une famille de quatre personnes reçoit des factures de primes d’un montant moyen de 15 200 2 francs (19 700 francs à Genève), et cela, uniquement pour être assurée car elle devra encore passer à la caisse si elle a recours aux services de santé, avec la franchise et la participation aux coûts. Pour un nombre toujours plus grand de ménages, le niveau des primes est synonyme d’un véritable étranglement économique, qui se cumule encore avec l’augmentation des prix des loyers et de l’énergie pour aboutir à un recul des salaires réels ces dernières années.
Un plafonnement nécessaire
L’initiative sur laquelle nous voterons demande simplement que les primes soient plafonnées à 10% du revenu disponible et que des réductions de primes, financées aux deux tiers par la Confédération (le solde revenant aux cantons), soient accordées aux ménages consacrant plus de 10% de leur revenu aux primes maladie. L’OFSP (Office fédéral de la santé publique) a calculé que la charge des primes nette (donc après déduction des subsides éventuels) se montait en moyenne à 6,6% du revenu disponible en l’an 2000. Cette charge est passée en 2020 à 14% du revenu disponible! Or, les primes ont encore augmenté de plus de 15% depuis 2020…
La réponse traditionnelle du monde politique à ces constats alarmants consistait à exposer qu’il existe des réductions de prime pour alléger ce fardeau lorsqu’il est excessif». Ces subsides sont financés conjointement par les cantons et la Confédération. Si les montants versés par la Confédération évoluent au même rythme que les primes, ce n’est pas le cas des montants financés par les cantons. En effet, si quelques cantons font exception (comme le Canton de Vaud qui applique déjà le plafonnement des primes à 10% du revenu), 17 cantons sur 26 ont revuà la baisse les moyens consacrés aux réductions de primes dans ces dix dernières années. Par ailleurs, vu le vieillissement de la population et l’augmentation du nombre de bénéficiaires des PC (prestations complémentaires), ce ne sont plus, en 2022, que 46% des montants des subsides qui sont destinés aux ménages à revenus modestes (contre 68% 22 ans auparavant). Globalement, alors que les primes augmentent à un rythme dans commune mesure avec l’évolution des salaires, la part de la population bénéficiant des réductions de primes est passée de 21% en 2012 à 18% en 2022.
Renoncement aux soins
Nous n’avons parlé jusqu’ici que du montant des primes. Les choses se corsent lorsque les ménages doivent faire face à des dépenses de santé. En effet, vu la charge démesurée des primes maladie, les ménages optent pour des solutions de prime moins chères, mais qui impliquent une franchise élevée. Cela signifie qu’en cas de besoins de santé, ces ménages devront payer de leur poche les premiers francs du traitement jusqu’à 2500 francs par an). Dans la mesure où, selon l’OFS, 20% de la population ne peut pas faire face à une dépense imprévue de l’ordre de 2500 francs, la conséquence est que de plus en plus de personnes renoncent à se soigner pour des motifs financiers.
En douze ans, la proportion de la population ayant renoncé à des soins de santé en raison des frais a triplé, passant de 6% à 18,8% [4].
Stopper cette spirale
Il est plus que temps de mettre un terme à cette évolution délétère pour l’ensemble de la population, qui ouvre la porte aux fausses réponses mettant l’accent sur la supposée «explosion des coûts de la santé». Les premiers sondages montrent que la population est favorable à une telle solution à environ 60%, mais la campagne est devant nous. L’initiative d’allègement des primes répond à une situation urgente. Elle doit également permettre, tout comme la votation à venir sur EFAS, d’ouvrir un réel débat de fond sur notre système de santé et sur son financement.
NON à l’initiative de «frein aux coûts»
Au menu des votations du 9 juin figure également l’initiative du Centre intitulée dans son intégralité «Pour des primes plus basses. Frein aux coûts dans le système de santé (initiative pour un frein aux coûts)». Les premiers sondages font état d’un soutien timide à hauteur de 54% d’opinions favorables.
Le texte prévoit l’introduction d’un frein aux coûts en cas d’évolution des dépenses de santé supérieures de plus de 20% à la progression des salaires nominaux (donc sans tenir compte de l’inflation). Les contours exacts de la mise en œuvre de ce «frein» seraient du ressort de la Confédération, mais le mouvement général est bien indiqué. On peut y voir une initiative publicitaire du Centre, mais elle s’inscrit également dans l’obsession récurrente pour les «coûts». Le simple usage de ce terme, en lieu et place de celui de «dépense» de santé», tout comme l’on parle des «dépenses militaires» (et non des «coûts militaires») montre l’emprise idéologique dans lequel est pris le débat sur la santé en Suisse du fait du financement antisocial des primes par tête.
Il est indéniable qu’il existe un potentiel d’économies dans les dépenses de santé qui est bloqué par les puissants lobbies actifs au Parlement fédéral (les pharmas notamment). Cependant les défis principaux du système de santé suisse sont bien plutôt de développer un mode de financement social qui n’étouffe pas la population et qui permette d’investir dans la santé pour garantir des soins de qualité à toutes et tous et des conditions de travail dignes. Aucun de ces enjeux n’est abordé avec cette initiative. Bien au contraire, on peut prévoir qu’en cas d’acceptation, les pressions vers la dégradation des conditions de travail des personnels soignants et la diminution de la qualité des soins de base vont s’exercer encore plus fortement, favorisant d’autant plus le développement d’une médecine à deux vitesses. Une seule conclusion: écartons cette initiative et recentrons le débat sur les enjeux fondamentaux qu’aborde l’initiative d’allègement des primes.
[1] Voir l’article de Benoit Blanc publié dans Services Publics du 29 septembre 2023: «Financement du système de santé: une alternative existe!», publié originellement sur alencontre.org
[2] Une des faîtières des assureurs maladie, santésuisse, titrait ainsi son communiqué de presse du 4 février 2024: «La plus forte croissance des coûts depuis 10 ans pèse sur les payeurs de prime»
[3] Voir le site de campagne: www.alleger.ch
[4] Voir l’article de Benoit Blanc publié dans Services Publics du 26 janvier 2024 «LAMal: le renoncement aux soins s’étend», publié originellement sur le site alencontre.org.
SSP, 14 mai 2024, Services publics
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