Le Géant jaune continue de rétrécir

La Poste vient d’annoncer qu’elle ne conserverait que 600 guichets postaux en 2028 contre 3’476 en 1999. Ancien député tessinois et responsable de la section cantonale du syndicat SSP, aujourd’hui président de l’Association pour la défense du service public, Graziano Pestoni (1) nous retrace cette évolution.
Entretien réalisé par Joël Depommier

Roberto Cirillo, directeur général de la Poste, a annoncé la fermeture de 170 offices régionaux entre 2025 et 2028. Soit un revirement radical de la stratégie actuelle, qui prévoyait une stabilisation du réseau de ses filiales selon le syndicat Syndicom. Est-ce justifiable selon vous ?
GR AZIANO PESTONI Il n’y a aucune raison objective pour réduire encore le nombre de bureaux. La Poste prétend tout le temps que le trafic de lettres est en diminution. En 1999, celui-ci se montait à 2,8 milliards de lettres par année. L’année passée, on en était encore à 2 milliards. Sur 25 ans, et malgré la concurrence d’internet et du courrier électronique, la diminution n’est pas si forte. Prétendre que le trafic de courrier va baisser d’un tiers dans les 5 ans qui viennent est une pure imposture et un mensonge.
Dans le même temps, la Poste fait aussi tout pour décourager ses usagers, en réduisant l’accessibilité à ses points d’accès. Au nom du service universel, l’Ordonnance sur la poste (OPO) exige que 90% de la population résidante permanente d’un canton puisse accéder à un office de poste ou à une agence postale en 20 minutes, mais cette durée inclut les déplacements en transports publics. Ce qui fait qu’un bureau peut se trouver à 15 km d’un domicile. On ne peut plus parler de poste de proximité et les usagers cherchent des alternatives. Des études comparées de PostCom (commission fédérale de la poste, anciennement PostReg) sur la fréquentation journalière respective des agences postale dans des petits commerces et des offices postaux montraient aussi de grandes différences, avec 30 personnes dans les premiers contre 360 dans les seconds. Ce qui montre qu’elles ne suscitent pas l’enthousiasme.

Est-ce que la Poste peut encore réduire le nombre de ses offices ?
Dans l’article 33 (alinéa 2) de l’Ordonnance sur la Poste, il est écrit que « chaque région de planification doit compter au moins un office de poste ». Or, la Suisse compte 127 de ces régions. Ce qui veut dire que la Poste pourrait encore réduire son offre. Le Canton de Zurich conserverait 11 offices de poste, Vaud, 18, le Tessin, 5, et le canton de Genève, 1 seul. Soit une moyenne d’un office postal pour 64’500 habitants. Outre cette réduction des points d’accès, la Poste multiplie les mesures « dissuasives » pour les usagers. Les tarifs continuent d’augmenter. La lettre en courrier A est passée de 1 franc à 1,20 franc, mais sans garantie que la lettre soit distribuée le lendemain. Pour le trafic de paiement, elle retient 2,30 francs sur chaque versement de 100 francs. De plus, la distribution ne se fait plus qu’une fois par jour, les délais d’acheminement s’allongent et il existe des propositions récentes du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) et d’Albert Rösti pour que la distribution ne se fasse que 2 à 3 fois par semaine. Pour la presse, cela signerait un arrêt de mort.

Est-ce que la notion de « service universel » est un garde-fou suffisant face à ces dérives ?
Jusque dans les années 2000, la Poste enregistrait environ 500 millions de déficit par an compensé par les PTT et le secteur des télécommunications. A partir de cette date, quand la Poste est devenue une société anonyme de droit public, le parlement a voulu qu’elle gagne de l’argent. La notion de service universel, qui définit l’offre minimale de service public que la Poste est légalement tenue de fournir, ne garantit pas des prestations de la même qualité qu’autrefois, ni des conditions de travail correctes. Depuis que la libéralisation du marché postal a été décidée, la Poste se comporte comme une entreprise privée.

Quelles sont les implications pour le personnel de ces changements, sachant aussi que les conditions de travail chez les opérateurs privés font aussi pression sur tout le secteur ?
Globalement, la transformation de la Poste en SA a entraîné une détérioration des conditions de travail et du service. Les baisses de temps de travail, du fait de l’augmentation du prétri par des machines, ont induit des baisses de salaire pour les employés.
Dans le secteur de la distribution, des contrats à faible taux de travail et donc à bas salaires sont proposés, alors que les rythmes de travail et la flexibilité augmentent. Au Tessin, en particulier, les conditions dans le secteur du tri et de la distribution sont précaires, avec une généralisation des contrats à temps partiel et des salaires compris entre 2’000 et 3’000 francs suisses nets par mois.
Depuis que la libéralisation du marché postal a été décidée, la Poste se comporte comme une entreprise privée, essayant d’acquérir des sociétés telles que Quickmail et Quickpack afin d’éliminer la concurrence, ou gérant des succursales avec des conditions de travail précaires et des salaires plus bas qu’auparavant, pour les fermer par la suite. Un exemple récent est celui de Direct Mail Company (DMC), une filiale de la Poste, qui a annoncé la suppression de près de 4’000 emplois en Suisse, dont 192 au Tessin.
Pour finir, les postiers deviennent interchangeables et n’ont plus de tournée spécifique, ce qui fait qu’ils n’ont plus de contact personnel avec les usagers.

Est-ce que la transformation de Postfinance en banque postale vous semble une bonne idée, sachant que les financements croisés entre secteurs de la Poste sont prohibés ?
Je ne suis pas contre la transformation de Postfinance en banque postale, si elle peut offrir tous les services financiers, notamment des hypothèques et de petits crédits. Cela pourrait servir à renforcer son implication en Suisse. La Poste se doit d’offrir des services en Suisse plutôt que d’investir à l’étranger. Il n’est pas souhaitable en revanche que Postfinance, dont les actifs s’élèvent à 120 milliards de francs suisses en 2020 et dont les bénéfices sont versés à la Confédération, soit privatisée.

Quelles sont vos propositions alternatives pour la Poste ?
Il faudrait revenir en arrière afin retrouver un service public de qualité. La Poste devrait être dirigée par le Conseil fédéral plutôt que par un conseil d’administration. Cette délégation de pouvoir est préjudiciable.
L’objectif de la Poste suisse ne devrait plus consister à obtenir les meilleurs résultats financiers possible, mais à satisfaire les intérêts des usagers. Il faut aussi réintroduire le monopole sur les services postaux.

La libéralisation des postes n’est-elle pas une exigence de l’UE ?
L’Europe complique les choses, mais nous sommes libre de nos choix Certains pays ont fait marche arrière en matière de transport ferroviaire, de gestion des eaux ou de services postaux. Le Transnational Institut montre que 835 cas de (re) municipalisation ont été recensés entre 2000 et 2017 dans 1’600 villes et 45 pays différents. Tout est une question de choix politique.

(1) Graziano Pestoni a rédigé deux ouvrages sur la question: La privatisation de la Poste suisse, origines, raisons, conséquences, Ed. Syndicom et Privatisations, Le monopole du marché et ses conséquences, Ed. d’en Bas.

Infos: www.associazioneserviziopubblico.ch

Voix populaire, N° 27, Juillet 2024

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