Gavage

Un cynisme cruel qui ne surprend presque plus venant du monde des affaires… L’éditeur zurichois TX Group a annoncé vendredi qu’il doublerait le dividende versé à ses actionnaires pour cette année et les deux suivantes. Et ce, alors que la direction annonçait dernièrement la suppression de 55 postes à plein temps. Bien que la holding fasse part de son intention de préserver les emplois existants jusqu’à septembre 2026, des travailleur·ses externes et sans taux fixe voient dès aujourd’hui leur collaboration prendre fin. Joyeux Noël.

La famille Coninx, elle, aura en tout cas de quoi sortir les petits fours pour le réveillon. Actionnaire majoritaire avec presque 70% des titres de l’entreprise, la dynastie perçoit chaque année plusieurs dizaines de millions de francs de dividendes. Des montants qui doubleront donc en cette fin d’année et les suivantes, si la répartition des parts de l’entreprise reste la même.

On peut admettre une certaine logique derrière tout cela: attirer les investisseurs pour pallier l’effondrement des revenus publicitaires traditionnels et la montée en puissance concurrentielle des géants du numérique. Rien de mieux pour attirer ces capitaux que la promesse d’une entreprise «lean» (littéralement: dégraissée), terme abject par lequel les sbires du nouveau management désignent aujourd’hui l’efficience maximale, l’intensification du travail et la réduction agressive des coûts au détriment des salarié·es. Sous couvert de modernité, ce modèle impose une pression constante, fragilise les travailleur•ses et néglige les besoins nécessaires à la création d’une information de qualité.

La presse, dont le modèle doit reposer sur des investissements exigeant patience et vision à long terme, est incompatible avec les pratiques purement financières dont fait preuve aujourd’hui la holding zurichoise. Car, pendant que le dividende double, la substance même de l’entreprise – sa capacité à produire un contenu qui fidélise son public – s’érode à petit feu. Les lecteur·rices, de plus en plus méfiant·es envers les organes au service d’intérêts privés, désertent. Les journalistes, soumis à une pression croissante et à des conditions de travail dégradées, quittent la profession.

Pour mettre fin à cette hémorragie, l’heure semble venue de mettre ouvertement sur la table l’idée d’une aide directe de l’Etat. Une aide qui, sans aller aux médias dont les actionnaires se gavent, servirait à la construction et à la solidification de titres dont le but est, avant toute chose, de diffuser une information de qualité.

Le Courrier, 1 décembre 2024, Louis Viladent

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